Rapport d'investigation : Toutes les vérités sur le clan Baskerville (résultat d'une enquête collective menée en classe de seconde en 2020)

 

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À l’occasion du premier confinement, entre avril et juin 2020, une enquête collective a été menée sur Le Chien des Baskerville d’Arthur Canon Doyle avec deux classes de seconde générale et technologique d’un lycée de Seine-Saint-Denis (93). Pour des raisons de confidentialité (Intercripol n'a aucun scrupule à exploiter la créativité de mineur(e)s mais met un point d'honneur à protéger impeccablement ses indics), les détectives en herbe qui ont souhaité demeurer anonymes seront ici désigné.e.s par un pseudonyme. Toute l'équipe d'Intercripol les félicite en tout cas pour toutes ces hypothèses. 

 

Initialement destinée (et comme de juste) à reproduire l’expérience menée par Pierre Bayard pour en confirmer les résultats et en asserter définitivement la vérité (L’Affaire du chien des Baskerville, Paris, Minuit, coll. Paradoxe, 2008), elle a produit à leur place une constellation de résultats que le sens de la justice et l’amour de la vérité nous contraignent aujourd’hui de publier.

 

D’un trimestre désarticulé par le travail à distance et les inquiétudes du virus, seules six solutions complètes ont émergé sur soixante-neuf élèves sollicités, solutions auxquelles on peut ajouter les trois que j’avais conçues en préparant la séquence. On aboutit donc à neuf solutions, onze en comptant celles du livre et la vérité absolue mise au jour par Pierre Bayard.

 

Bilan général 

 

Ces solutions illustrent l’inventivité des élèves et leur capacité à coopérer à des niveaux très divers du dispositif narratif. Le résumé de l’ouvrage de Pierre Bayard leur a fourni l’inspiration nécessaire pour contourner les grosses difficultés de l’enquête. Ce témoignage de pensée divergente leur a fait découvrir au moins que : un personnage pouvait manipuler Sherlock Holmes, un meurtre et un agresseur apparents pouvaient n’en être pas un, le suiveur de Londres pouvait être une femme, un témoignage pouvait être faux, une disparition pouvait cacher un meurtre, un meurtrier une victime, un enquêteur un complice involontaire.

 

Certaines solutions se conforment à la détermination réaliste de la solution originale (et de la vérité bayardienne), en changeant simplement coupables et mobiles dans le cours des événements. L’une d’entre elles, en revanche, décide d’explorer le topic qui affleurait au deuxième chapitre : y a-t-il vraiment eu meurtre ? La mort de Sir Charles ne serait-elle pas un simple accident ? Elle étend ce topic à l’ensemble du récit et notamment – expérience pour le moins périlleuse et particulièrement intéressante – à la mort de Selden et à l’attaque de Henry par le chien. Cette solution a permis d’explorer jusqu’à quelle limite on pouvait exploiter la piste du chien incontrôlé et celle des morts accidentelles, et contourner du même coup les très nombreux indices d’intervention humaine et d’intentions meurtrières qui parsèment les faits indéniables.

 

Dans la même veine que la solution d’Alistair Rolls à Ils étaient dix et sous l’influence avouée de Shutter Island, un des élèves a exploité la solution Matriochca par excellence, celle qui fonctionne par enchâssement de mondes possibles. La réalité de la séquence événementielle opère à un niveau symbolique W-2, elle n’est que la simulation d’un cerveau inclus dans un univers W-1 que nous-mêmes lecteur.rice.s découvrons depuis notre réalité W0Chez Alistair Rolls il s’agissait d’un rêve, ici on assiste à une mise en scène psychiatrique matérialisant les délires psychotiques d’un patient meurtrier. La coopération policière se fait cette fois non plus au niveau de la diégèse, mais au niveau de la voix dont le récit émerge ou du cadre narratorial dans lequel le récit s’insère. Cette solution est d’autant plus intrigante que son procédé n’a pas été exploité seulement par Shutter Island : on retrouve la même construction narrative dans la quatrième saison de la série Sherlock et en particulier dans son épisode final, « Le dernier problème [1] » (lequel était pourtant inconnu de l’élève à l’origine de cette théorie). Preuve s’il en était besoin que la coopération interprétative spontanée, basée sur une mémoire largement inconsciente, produit facilement les mêmes résultats chez un élève de seize ans que parmi la fine fleur des producteurs de séries britanniques.

 

Pour élargir les perspectives, j’ai également proposé deux solutions moins orthodoxes : l’une explore la piste de l’explication fantastique en détournant des codes génériques du merveilleux. L’autre correspond à une solution anti-newtonienne, en ce qu’elle différencie les lois physiques de l’univers réel (le nôtre) des lois physiques de l’univers fictif (le récit pris dans sa séquence événementielle, de la mort d’Hugo à la disparition de Stapleton). L’expérience cherchait à exploiter deux carrefours interprétatifs particulièrement séduisants du texte (Stapleton est le portrait craché de Hugo ; Stapleton disparaît à la fin du roman sans que l’on retrouve son corps) en poussant leur potentiel au-delà du réalisme. Il s’agissait de déterminer si on pourrait en tirer une solution qui, sans être vraisemblable, serait cohérente avec les faits indéniables du texte, une fois annulée la croyance que les voyages dans le temps ne sont pas plus possibles dans l’univers de Sherlock Holmes que dans notre univers.

 

             

 

Résumé des différentes solutions 

 

1. Lectures réalistes

 

  • Le Médecin poli par l’amour (Solution d'Enola Holmes) 

 

Véritable(s) coupable(s) : le docteur Mortimer et Beryl Stapleton.

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Charles Baskerville, Mr. Stapleton, Henry Baskerville.

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : L’argent est leur principale motivation.

 

Explications :

Mortimer est coupable depuis le début : c’est le cerveau de l’opération. C’est un homme intelligent qui a fait croire à tout le monde qu’il était maladroit et étourdi. En venant chez Holmes, il a fait exprès d’oublier une canne, la présentant comme un cadeau de mariage. Cela lui a permis de revenir parler de son crime comme s’il enquêtait sur celui-ci. De la sorte, il resterait auprès de sa prochaine victime (Sir Henry Baskerville) dans le but de toujours garder un œil sur elle : tel est son procédé, comme on a pu l’observer avec Charles Baskerville. Il a engagé un homme qui ferait semblant de les suivre, un autre qui leur enverrait une lettre leur recommandant la méfiance… Tout, absolument tout était calculé. Mortimer savait ce qu’il avait fait et ce qu’il s’apprêtait à faire : il savait qu’une fois son stratagème mis en place pour brouiller les pistes, aller chez les Baskerville serait pour Holmes et Watson la seule solution pour trouver le coupable. Il y suivit Watson pour toujours garder un œil sur Sir Henry. Une fois arrivé à la campagne, il savait que s’absenter était la seule solution pour pouvoir agir efficacement. Il prétexta la nécessité de voir sa femme on ne le vit presque plus jusqu’à la fin du roman. Or c’est à ce moment précis que tout commence.

Mortimer devait trouver une proie. Connaissant bien le voisinage grâce à la compagnie de Sir Charles, il choisit Stapleton qui était une cible parfaite. Cela lui permettrait également de s’en débarrasser avant que Stapleton ne découvre la liaison qu’il entretenait avec Beryl. C’est donc avec Beryl Stapleton qu’il a partagé les rôles : Beryl, qui voulait à tout prix se débarrasser de ce fardeau de mari, avait ici la parfaite occasion de le faire. Et si c’était avec l’aide de son amant, que demander de mieux ? Ils semèrent tous deux une multitude d’indices qui accusaient Stapleton dans la lande et tout autour du manoir des Baskerville. Le chien couvert de phosphore fut quant à lui gardé par Beryl elle-même, le dernier soir dans leur garage, ce qui rendrait les soupçons envers Stapleton encore plus évidents. La chaussure volée à Sir Henry permettrait au chien (comme l’avait prédit Holmes) de retrouver la trace desa cible.

En ce qui concerne Sir Charles, c’est bien la méthode du chien qui a été utilisée pour l’éliminer : une apparition du chien durant quelques secondes suffirait à faire paniquer Charles car il penserait à la légende du chien : la crisecardiaque le tuerait rapidement. Elle serait d’autant plus assurée du fait du nombre de médicaments prescrits par son soi-disant ami pour calmer ses angoisses, et qui n’ont eu pour but que de l’affaiblir à petit feu jusqu’au moment fatidique où il ne pourrait plus rester rationnel, de par sa faiblesse et sa paranoïa. Sans preuve, personne n’a suspecté la culpabilité de Mortimer et Beryl : ils sont donc passés à l’héritier suivant. Mais cette fois-ci, ils se devaient d’agir différemment s’ils voulaient gagner plus d’argent. Leur objectif était donc de rapprocher Stapleton d’Henry, à tel point que le second mette le premier dans son testament. Puis Mortimer et sa complice devaient tuer Henry qui aurait donné une part de son héritage à Stapleton avant que celui-ci soit accusé du meurtre. En fin de compte, Beryl récupérerait l’argent.

Le meurtre de Selden était lui aussi prémédité. Il brouillerait les pistes, détournerait l’attention de Watson et Holmes, les dérouterait et éliminerait un potentiel témoin de leur meurtre alors en préparation.

Watson et Holmes sont tous les deux tombés bêtement dans le panneau, accusant Stapleton puisque toutes les preuves le pointaient du doigt. Mortimer et Beryl n’ont qu’à moitié réussi leur coup car Stapleton a été accusé avant le meurtre d’Henry, ce qui ne leur a pas permis de récupérer l’argent (ce à quoi s’emploie Mortimer en s’occupant de la convalescence d’Henry).

 

  • La Sorcière des Landes (Solution de Bélisaire Beresford)

 

Véritable(s) coupable(s) : Beryl Stapleton et Laura Layons (par chantage) 

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Mr. Stapleton, Sir Henry Baskerville, Laura Layons (plus ou moins) ainsi qu’Holmes et Watson.

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : se faire passer pour une victime auprès de son entourage, pour ainsi obtenir l’héritage des Baskerville qui devrait revenir à son mari, un Baskerville qui a changé de nom. Beryl tentera d’y parvenir notamment grâce à l’aide forcée de Laura Lyons, maîtresse de son mari et ancienne amie du couple.

 

Explications :

Depuis un certain temps, Beryl trouvait son mari plutôt distant et froid ; elle décide de le suivre un jour et découvre qu’il la trompe, avec une certaine Laura Layons qui venait souvent dîner chez elle avec son mari.

Furieuse, Beryl décide de garder le secret et tente par tous les moyens de contacter Mme Lyons (chose qu’elle réussit à faire). Très vite, Beryl menace de raconter ce qu’elle sait à Mr. Lyons (le mari de Laura qui est un homme très violent, Beryl l’avait remarqué lorsque les deux couples dînaient ensemble) si Laura ne l’aide pas à coopérer dans le plan qu’elle a conçu parallèlement. Terrifiée à l’idée que son mari apprenne sa liaison, Laura accepte.

C’est en parlant ensuite à Mortimer de sa peur de mourir, suite au meurtre de Sir Charles, que Beryl Stapleton fait parvenir cette fausse histoire de chien surnaturel jusqu’aux oreilles de Holmes. Pour elle qui manipule souvent son entourage, convaincre Mortimer n’est qu’un petit détail.

Rapidement, Beryl exécute son plan lui permettant de récupérer l’héritage de son mari, qui est en réalité un Baskerville : ce sera sa manière de se venger. Elle envoie en premier lieu Laura Lyons à Londres afin d’espionner de la manière la plus détaillée possible les faits et gestes de Holmes et Watson sous une fausse identité et dans le costume mal taillé de son mari. Laura porte également une fausse barbe qu’Holmes et Watson ont remarquée lors de la fameuse course poursuite, c’est aussi elle qui vole les chaussures et qui envoie la lettre de mise en garde dans le seul but de faire pression sur Sir Henry et de l’effrayer.

C’est par le biais de nombreux télégrammes que les deux femmes parviennent à communiquer et à avancer dans leur plan.

Suite à cela, Beryl se rapproche d’Henry Baskerville et se fait passer pour une victime auprès de lui, pour non seulement se couvrir mais aussi s’informer des nombreux événements se passant au château des Baskerville – chose que Mr. Stapleton n’apprécie pas. Beryl prétend alors qu’Henry cherchait juste à l’aider pour l’envoi d’une lettre en Irlande (lieu où habite sa sœur). Elle demande à son mari de cacher leur mariage pour le moment, ce qu’il accepte difficilement.

Ayant entendu par Sir Henry Baskerville qu’une certaine Laura Lyons serait rentrée en contact avec Sir Charles avant sa mort, Beryl prévient celle-ci et lui ordonne de venir la rejoindre dans la région car elle pourrait à tout moment devoir parler avec les enquêteurs. C’est ainsi que Laura Lyons raconte cette histoire de lettre à Watson, afin d’éloigner tout soupçon et de prouver son innocence.

Finalement, c’est lors de cette fameuse nuit que le plan s’achève, premièrement lorsque Beryl supplie son mari de promener leur chien plutôt imposant dans les bois, et deuxièmement lorsqu’elle profite de son absence pour se rouer de coups et s’attacher, se faisant ainsi passer pour une femme maltraitée.

Suite à cela, Holmes et Watson ne retrouveront plus jamais Mr. Stapleton. Sûrement conscient de ce qui se tramait après avoir attendu les cris des enquêteurs, Stapleton reste un innocent qui cherchait seulement à promener son chien, lequel aboyait fort grâce à des produits spécifiques que Beryl lui administrait avant ses promenades. Malheureusement pour lui, il restera le seul criminel de l’histoire.

Mrs. Stapleton est finalement retrouvée ligoté et blessée, elle sera alors complètement innocentée ainsi que Laura Lyons avec qui elle partagera les biens après avoir, bien plus tard, épousé Henry Baskerville (en jouant de son rôle de victime auprès de lui).

C’est de cette manière que Mme Stapleton se vengera de son mari, se débarrassera de lui, prendra le nom de son second mari et deviendra la prochaine héritière officielle des Baskerville. 

 

  • Rebecca (Solution d’Eva Deshogues) 

 

Véritable(s) coupable(s) : le véritable coupable est Mortimer car il est assez louche depuis le début ; il veut la fortune des Baskerville et il a monté toute cette histoire.

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : la personne visée est Henry Baskerville puisque c’est le dernier descendant connu de la famille.

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : Mortimer a utilisé les Stapleton pour ne pas porter le chapeau des crimes. Il voulait donc que Henry Baskerville se retrouve seul chez eux pour pouvoir tuer Mr. Stapleton sans être dérangé.

 

Explications :

Devenu le médecin de Sir Charles, Mortimer avait voulu s’approprier la fortune des Baskerville.

Quand Mortimer est allé voir Sherlock Holmes et lui a raconté l’histoire des Baskerville, les suspicions de meurtre étaient en réalité inventées de toutes pièces par lui pour fausser les pistes. Le soulier disparu de Sir Henry était un coup monté par Mortimer. Il se rapprochait ainsi du prochain héritier. Le fait que Sir Henry parte pour la lande faisait partie de son plan, à l’inverse de la venue de Watson.

Laura Lyons est également coupable ; elle était l’amante de Mortimer. C’est elle qui a rédigé la lettre demandant à Sir Charles un rendez-vous nocturne, permettant à Mortimer de lâcher sur lui un gros chien. Stapleton, qui avait assisté à la scène, les faisait chanter. C’est lui qui a suivi Mortimer et Henry à Londres, pour espionner le premier.

Les nombreuses absences du médecin, peu présent auprès de Watson et Henry, s’expliquent par ses visites à Laura Lyons et par ses sorties dans la lande. C’est Mortimer qui était également à l’origine de l’étrange cri du chien car il utilisait dans la lande un sifflet particulier pour reproduire ce hurlement. Le cadre dans le manoir représentant Mr. Stapleton a été placé là pour fausser les pistes, pour faire accuser Stapleton du crime et justifier ainsi la disparition du maître chanteur sans explication nécessaire. Beryl, qui se doutait d’une implication relative de son mari dans la mort de Sir Charles sans en connaître les détails, avait accompagné ou suivi Stapleton à Londres et, pour ne pas avoir un mort de plus sur la conscience, elle a envoyé une lettre de mise en garde à Henry.

Le dernier soir, Mortimer avait probablement promis une grosse somme à Stapleton pour qu’il batte et attache sa femme puis qu’il lâche le chien sur Henry. Ou bien, furieux que Stapleton l’ait fait chanter, Mortimer lui avait déclaré que tous les indices pointeraient vers lui et avait promis de l’innocenter s’il se pliait à ses ordres. Mais Mortimer a préféré tuer Stapleton et jeter son corps dans le bourbier.

L’histoire ne nous dit pas si Mortimer est finalement parvenu à hériter d’une partie de la fortune des Baskerville ; il a néanmoins pu en profiter en accompagnant son patient dans ses voyages de convalescence.

 

 

  • L’Arnaque (Solution de Sarah Delale, 1)

 

Véritable(s) coupable(s) : le docteur Mortimer et Henry Baskerville

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Charles Baskerville et Stapleton

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : récupérer l’héritage des Baskerville

 

Explications :

Si l’on remet en cause le témoignage de Mortimer qui ajoute à l’histoire une dimension fantastique, c’est Mortimer qui devient suspect d’avoir installé cette dimension pour faire imaginer un crime de nature fantastico-réelle. Comme il faut quelqu’un pour filer Holmes et Watson filant Mortimer et Henri Baskerville à Londres, Mortimer avait nécessairement un complice. Barrymore semble tout indiqué puisqu’il possède la barbe adéquate.

Deuxième fait troublant : alors que Mortimer est censé être marié, à la fin du roman il accompagne Henri Baskerville dans son tour du monde sans qu’il soit fait mention de sa femme. Que devient-elle ? Les accompagne-t-elle ? On peut considérer que cette incohérence est issue d’un tropisme patriarcal, dans lequel les femmes sont si peu signifiantes qu’elles disparaissent du raisonnement et de la conscience dès qu’il s’agit de prendre une décision d’homme, soit de responsable légal (l’impensé serait ici : bien sûr qu’elle l’accompagne, elle est sous sa responsabilité légale). Mais on ne voit jamais la mystérieuse Madame Mortimer qui n’est évoquée que deux fois, au premier chapitre quand le médecin parle de son mariage et au moment où, le premier soir, Mortimer refuse de rester dîner avec Watson et Henry en prétextant que sa femme l’attend.

On peut imaginer lier Henry Baskerville à la machination : parmi les témoignages contestables mentionnés par Pierre Bayard figure la vie menée par Henry au Canada avant son arrivée en Angleterre. En raison du nombre d’indices qui corroborent cette information, il est difficile d’invalider le fait que Stapleton soit un Baskerville. Il est en revanche beaucoup plus facile de défendre l’idée que Henry Baskerville soit un faux héritier, inventé à dessein par Mortimer qui comptait rafler l’héritage à la place de Stapleton. Mortimer et Henry, aidés de Barrymore, auraient rallié à leur cause Beryl, peut-être aussi Laura Lyons. Ils auraient collectivement manipulé Holmes et Watson, créant la fausse lettre de mise en garde et inventant un fileur en la personne de Barrymore pour installer dans l’esprit de Holmes la suspicion d’une menace. Holmes aurait ainsi été conditionné à cautionner la lecture criminelle d’un scénario fantastico-réaliste et se serait acharné à y trouver un coupable le moins fantastique et le plus réaliste possible.

Ayant déclaré son intention de restaurer la demeure familiale avec son héritage, Henry ne pouvait qu’être bien accueilli par les locaux, peu disposés à suspecter un seigneur généreux. Le trauma du chien aurait fourni ensuite une justification imparable pour mener la belle vie autour du monde en abandonnant le domaine. Du même coup, Henry éloignait définitivement de lui tout soupçon d’usurpation (il avait été attaqué en tant qu’héritier, preuve qu’il étaitl’héritier) et s’attirait en suprême légitimation la compassion de tous.

On en arrive donc au crime suivant : Mortimer et Henry sont de mèche pour récupérer la fortune des Baskerville et écarter Stapleton de l’héritage. Mortimer est le propriétaire du chien (on sait qu’il est doué avec les bêtes puisqu’il possède un petit chien, qu’il n’hésitera pourtant pas à faire dévorer par l’autre pour écarter les soupçons qu’on pourrait porter sur lui). Après avoir éliminé Sir Charles, Mortimer a profité de l’existence d’un héritier inconnu de tous pour prétendre le retrouver et introduire à sa place un complice, Henry. Mortimer se débarrasse de Selden qui pourrait nuire à leur plan ou les avoir surpris : son meurtre sert à confirmer dans l’esprit de Holmes et Watson la dangerosité du chien comme arme de crimes. Il ne reste plus qu’à faire accuser Stapleton du meurtre de Sir Charles et à le tuer dans une mise en scène brillante, risquée mais virtuose. L’attention de Watson et Holmes, déplacée vers le chien et retenue par la nécessité de sauver Henry (qui joue le jeu de la terreur alors qu’il connaît bien le chien), ne peut simultanément percevoir une autre scène de meurtre : celui de Stapleton par Mortimer qui se débarrasse aisément du corps dans le bourbier. Jouissant des plaisirs de l’argent et du voyage, Mortimer et Henry triomphent à la fin.

  

  • Les Vestiges de la nuit (Solution de Carla Jorge)

 

Véritable(s) coupable(s) : Barrymore et sa femme 

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Sir Charles, Sir Henry et Stapleton

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : Récupérer l’argent des Baskerville en torturant ou en passant un pacte avec Stapleton

 

Explications :

Pour faire évader Selden de prison, Barrymore et sa femme devaient payer une énorme somme d’argent et ils se couvrirent de dettes. Les mille livres reçues en héritage de Sir Charles ne suffirent pas, même si ce premier paiement permit l’évasion du forçat.

Un jour, en faisant le ménage dans le manoir des Baskerville, Barrymore découvrit un arbre généalogique de la famille. Surpris, il se rendit compte que leur voisin Stapleton devait en faire partie. Barrymore connaissait bien Stapleton et le trouvait naïf et facile à manipuler. Il raconta alors cette découverte à sa femme. Ces deux-là vivaient dans l’ombre des Baskerville depuis bien trop longtemps. Sir Charles les traitait mal et ils étaient d’une part assoiffés de vengeance et d’autre part désireux de cet héritage qui, selon eux, leur revenait de droit. Ils conçurent un plan dans le but de tuer Sir Charles et ensuite de torturer Stapleton afin de récupérer son argent. Ils décidèrent alors d’acheter un chien d’apparence agressive mais qui était en réalité calme et très joueur. Ils cachèrent le chien dans le bourbier, là où personne ne se rendait jamais. Sous la pression de Barrymore qui savait que son voisin et Madame Lyons entretenaient une relation secrète, Stapleton demanda à Laura Lyons d’écrire une lettre à Sir Henry lui donnant rendez-vous et lui demandant de détruire la lettre après l’avoir lue. En échange de ce service, Barrymore avait promis une somme d’argent aux deux amoureux.

Mais Barrymore découvrit ensuite que Sir Henry figurait avant Stapleton dans la succession et qu’il devait s’en débarrasser – cette fois, espérait-il, sans meurtre. Il envoya d’abord une lettre de menace anonyme à Sir Henry. En apprenant la mort de Sir Charles, Stapleton eut quelques soupçons au sujet de Barrymore et suggéra au docteur Mortimer de faire intervenir Sherlock Holmes. Étant terrorisé par Barrymore et muselé par lui après l’épisode de la lettre écrite à Sir Charles, Stapleton ne pouvait informer lui-même Holmes : il avait peur des représailles. Lorsque Barrymore apprit que le docteur Mortimer avait chargé Holmes de l’affaire, il décida de se rendre à Londres lui-même et suivit Sir Henry et le docteur Mortimer dans le fiacre (il était reconnaissable à sa barbe). Il vola une chaussure à Sir Henry afin que le chien puisse retracer son odeur, mais en se rendant compte que la chaussure était neuve il prit soin de la rendre et d’en voler une autre. 

En parallèle, il y avait le triangle amoureux entre Stapleton, Beryl et Laura Lyons. Pour garder leurs identités secrètes liées à leur passé et afin que les autorités ne les retrouvent pas, Beryl et Stapleton se faisaient passer pour frère et sœur. Malgré leurs manigances, ils n’étaient pas méchants mais seulement des gens tentant de se protéger. Mais Beryl apprit la liaison secrète entre son mari et Laura Lyons, ce qui la ravagea.

Pour terroriser Sir Henry, Barrymore diffusa des bruits effrayants de chien dans toute la lande, afin que le jeune homme réalise que la légende concernant le chien diabolique était vraie et qu’il renonce à l’héritage par peur de la mort. En réalité Barrymore tenait peu à Selden. Se rendant compte que Sir Henry n’était toujours pas effrayé et que le destin de Selden relevait des autorités, Barrymore décida sans l’accord de sa femme de se servir de Selden pour terroriser Sir Henry. Il orchestra sa mort en diffusant des bruits terrifiants de chien. Malheureusement, Sir Henry n’assista pas à ce tragique évènement et c’est Watson et Holmes qui en furent les témoins. Barrymore n’avait plus d’autre choix que de se débarrasser définitivement de Sir Henry.

Barrymore força une nouvelle fois Stapleton à inviter Sir Henry chez lui. Sachant que sa présumée sœur, plus coriace que Stapleton, refuserait de l’aider, Barrymore la roua de coups puis il l’attacha et l’enferma dans une pièce de la maison. Effrayé et pour ne pas contredire Barrymore, Stapleton fit exactement ce qu’on lui dit de faire. Il devait manger avec Sir Henry, seul, et ouvrir la porte de la remise dès qu’il partirait. Stapleton n’avait aucune connaissance de ce qui s’y trouvait, le chien étant enfermé dans une grande caisse en bois. À la fin du repas, Stapleton laissa repartir Sir Henry et il ouvrit la caisse comme Barrymore lui avait demandé de le faire. En découvrant un chien qui ressemblait à celui de la légende et en le voyant se jeter sur Sir Henry, Stapleton comprit la supercherie. En voyant surgir Watson et Holmes, il sut qu’il serait considéré coupable et décida de prendre la fuite. Il alla le plus loin possible mais dans la panique il se perdit dans le bourbier où il mourut.

Sa femme, Beryl, affirma à Holmes et Watson que son mari était le cerveau de l’opération. En effet les coups que Barrymore lui avait portés avaient effrayé la jeune femme, qui accepta d’incriminer son mari en échange d’un billet pour le Costa-Rica et d’une somme d’argent. La liaison secrète qu’entretenait Stapleton avec Laura Lyons avait dévasté Beryl et cette dernière, en incriminant Stapleton, put enfin se venger.

Le plan des Barrymore n’a pas fonctionné comme ils le souhaitaient. Ils n’ont pas réussi à récupérer l’argent de Stapleton car ce dernier est mort et n’a pas hérité. Cependant, ils profitent du manoir des Baskerville car ils y vivent seuls désormais et dépensent à leur profit les sommes que leur verse Sir Henry pour l’entretien des lieux. Ils sortent gagnants de cette affaire et n’ont même pas été soupçonnés.

 

 

2. Lecture a-meurtrière : Croc-blanc, chien fidèle (Solution de Jane Marple)

 

Véritable(s) coupable(s) : le chien

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Charles Baskerville et Henry Baskerville

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : nombreuses attaques du chien ; délits de Stapleton pour extorquer de l’argent aux Baskerville

 

Explications :

Le soir de sa mort, Sir Charles Baskerville était bien sorti pour rencontrer Laura Lyons, qui était envoyée par Stapleton pour manipuler Charles et lui voler son argent. Elle n’est finalement pas venue et Sir Charles s’est retrouvé face à un gros chien sauvage et inoffensif errant dans la Lande. Sir Charles a pris la fuite et a fini par mourir de peur car il pensait que c’était le chien de la légende des Baskerville.

Stapleton se savait descendre des Baskerville et s’était installé à côté du manoir pour essayer d’en tirer un profit quelconque, sans projet précis. Il avait rapidement décidé d’extorquer toutes les sommes possibles de la fortune des Baskerville, sans aller néanmoins jusqu’à concevoir des projets criminels. Laura Lyons était amoureuse de Stapleton. Celui-ci lui a fait croire qu’il allait monter un plan pour voler de l’argent à Sir Charles, ce qui leur permettrait de se marier. C’est sous ce prétexte qu’il lui a fait demander un rendez-vous privé à Charles Baskerville. En réalité il comptait garder l’argent uniquement pour lui. Laura a découvert qu’il avait déjà une femme ; elle s’est donc retirée du plan et n’est pas allée au rendez-vous. C’est par un malheureux hasard que Sir Charles s’est retrouvé ce soir-là face une des créatures inquiétantes de la lande, qu’il avait aperçue de loin plusieurs fois et que sa folie confondait avec une créature légendaire.

Après la mort de Sir Charles survient l’évasion de Selden. Les Barrymore s’occupent de l’évadé qui n’est autre que le frère de Mme Barrymore. Selden ayant rencontré le chien et l’ayant apprivoisé, il lui a enduit le museau de phosphore avec l’aide de Barrymore pour voir le chien dans la nuit et pour éloigner le voisinage de la lande où il se cache. Selden mourra d’une chute mortelle dans la nuit, le chien hurlant pour prévenir les Barrymore de sa chute.

Inquiet face aux traces du chien, Mortimer s’est rendu à Londres demander de l’aide à Holmes. Stapleton l’y a suivi pour s’informer de Henry et chercher un moyen d’extorquer de l’argent à l’héritier des Baskerville. Laura, prévenue contre son amant et inquiète de la mort de Sir Charles, a fait parvenir à Henry une lettre d’avertissement. Elle avait informé Beryl du comportement de Stapleton et de leur liaison. Beryl, épouse malheureuse et femme battue, plus méfiante que jamais, a tenté par tous les moyens d’éloigner Henry de son mari. Pourtant Stapleton ne versait pas dans les meurtres. Le dernier soir de l’enquête, en même temps qu’il tenait sa femme attachée et enfermée pour l’éloigner de son rival amoureux, il hébergeait dans sa grange quelques voleurs en cavale contre un peu d’argent – voleurs qui prirent la fuite au premier coup de feu.

Ce soir-là, Sir Henry vint manger chez les Stapleton. Holmes, Watson et l’inspecteur l’attendaient, cachés sur la lande. Lorsqu’il sortit, Henry eut la malchance de tomber sur le chien qui se précipita sur lui, mais Holmes tira sur la bête. En entendant les coups de feu Stapleton aperçut Holmes. Sur l’impulsion propre aux petits criminels il prit la fuite en laissant Mme Stapleton attachée dans une pièce de la maison. Cette dernière en profita pour condamner unilatéralement son mari, cherchant ainsi à sauver sa respectabilité et la chance illusoire de se faire un jour épouser par Sir Henry.

 

 

3. Lecture psycho-clinique : L’île close 2 (Solution de Vlad Cucos)

 

Véritable(s) coupable(s) : Stapleton (la partie sombre de Watson)

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Henry Baskerville (le bon côté de Watson)

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : Meurtre

 

Explications :

En réalité le docteur Watson est un psychopathe. Quand il était petit, il vivait avec son père dans une énorme maison qui était située dans un petit village. Cette maison possédait un jardin gigantesque dans lequel son père prévoyait d’installer un terrain de golf. Pour l’instant, il ne s’y trouvait que quelques baraquements dans lesquels devaient vivre les ouvriers pour la durée des travaux. Mais pour Watson, un enfant bizarre, asocial, habité par des amis imaginaires, le futur terrain de golf était la nuit un champ de bataille entre deux villes. Dans l’obscurité, des baraquements sortaient des soldats médiévaux et des lueurs apparaissaient et disparaissaient en un instant. Pendant quelques minutes le combat continuait puis, tout d’un coup, tout s’arrêtait ; l’armée tombait dans le néant et on ne voyait plus rien.

Pendant la journée, quand Watson jouait dans le jardin, il avait parfois l’impression qu’il connaissait chaque partie cachée de ce lieu, mais d’autres fois il se sentait comme un guide aveugle et maladroit dans un labyrinthe.

Le seul ami de Watson était son collègue de classe qui était aussi son voisin : un enfant avec de sérieux problèmes de comportement. Un jour, quand il eut douze ans, ses parents le mirent à la rue mais grâce à sa sœur qui avait demandé au père de Watson de garder son frère chez lui, l’ami de Watson s’installa temporairement dans les baraquements du jardin.

Pour donner un compagnon à Watson, son père lui acheta un chien. Mais malheureusement Watson n’aimait pas le chien et l’enfermait dans une cage sans lui donner à manger. Après plusieurs jours, un soir, alors que son père dormait dans un hamac à l’air libre avec son fils d’après les conseils d’une de ses proches amies médecin, Watson saupoudra le cou et le visage de son père de petits morceaux de viande puis il libéra le chien. Le résultat fut catastrophique : l’animal mordit mortellement le père au visage au point qu’on ne pouvait même plus le reconnaître. Suite à cet incident, l’enfant fut enfermé dans un asile psychiatrique où chaque jour il répétait que lui et son ami Sherlock Holmes pouvaient résoudre ce cas infiniment complexe. Quelques jours après le drame, le corps d’un garçon d’environ douze ans avait été identifié dans le jardin du père défunt. La cause du décès était une chute violente.

Vingt-cinq ans après, les docteurs ont refait une simulation de cette tragédie ; ils ont laissé Watson vivre quelques jours comme détective. Ils ont transformé le Watson enfant en deux personnages : Stapleton, la partie sombre et maléfique de Watson qui ment et qui tue, et Henry Baskerville, le vrai Watson s’il avait eu un comportement normal : un homme admirable, honnête, brave et digne d’être l’héritier de son père. Ils ont ajouté des personnages supplémentaires : Beryl Stapleton, pour montrer que tous ceux qui se trouvent près de Stapleton souffrent. L’amie proche du père de Watson est incarnée par Laura Lyons ; elle a aussi pour rôle de représenter l’amoralité de Stapleton : ce dernier se sert de l’amour de Laura pour attirer Charles Baskerville sur la lande. Enfin, Sherlock Holmes est comme un ami qui le soutient et l’aide à se démêler lui-même.

En réalité Watson est devenu Stapleton, mais les docteurs proposent une histoire dans laquelle Watson est un spectateur : il observe un combat intérieur entre deux parties de lui-même, dans lequel le bon côté triomphe.

Ce qui prouve que Watson est un simple observateur est le fait qu’aucune de ses actions n’influence le cours des événements : Holmes dit qu’il aurait rendu visite à Laura Lyons si Watson ne l’avait pas fait avant lui, Sir Henry a remarqué lui aussi que Barrymore marchait dans le manoir pendant la nuit, donc il aurait pu le filer tout seul.

À travers cette expérience les psychiatres veulent montrer à Watson qu’il peut gagner le combat, prendre le dessus, tuer sa partie sombre et enfin devenir libre.

 

 

4. Merveilleux ou fantastique ? Bisclavrette (Solution de Sarah Delale, 2)

 

Véritable(s) coupable(s) : Mortimer et, par accident, la femme de Mortimer

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : la femme de Mortimer est victime de son mari, Sir Charles et Selden sont les victimes accidentelles de la femme de Mortimer

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : un baiser d’un côté, un meurtre de l’autre

 

Explications :              

La femme de Mortimer est un chien-garou. Un sort affligeait la famille de la jeune fille tuée par Hugo Baskerville ; le chien qui a tué Hugo était en réalité la mère de cette jeune fille. La femme de Mortimer est leur descendante. De nuit, elle se transforme en un immense chien noir.

Pour redevenir entièrement humaine, la femme de Mortimer doit embrasser le seigneur des Baskerville (l’actuel Sir Baskerville, à l’exclusion de ses héritiers). Après la mort de Sir Charles, c’est elle qui se rend à Londres pour identifier et filer le nouvel héritier et, en bon chien-garou, connaître autant son apparence que son odeur (elle lui vole donc une chaussure). Elle attend ensuite l’occasion de le rencontrer seul, de nuit, sur la lande, mais elle meurt au moment de parvenir à l’embrasser.

Mortimer, auteur de la lettre de mise en garde, a en effet dépêché Holmes pour qu’il tue sa femme et le débarrasse de cette encombrante semi-épouse : il est certain que Holmes ne croira jamais à une vérité surnaturelle et qu’abattre un animal ne pourra jamais constituer selon lui un meurtre. Le chien-garou a tenté de se faire aider de Stapleton, ami des bêtes, qui l’a adopté et qui le couvrait de phosphore pour qu’il soit repérable dans la nuit. Il a mangé le chien de Mortimer par vengeance contre ce dernier, ou parce que le chien servait d’espion à son mari.

Dans les entreprises de Mrs. Mortimer pour embrasser le seigneur des Baskerville, Sir Charles (poursuivi avec enthousiasme) et Selden (croisé par hasard) meurent de peur, le chien-garou est abattu avant d’avoir atteint Henry et Stapleton s’enfuit par peur d’être accusé de tentative de meurtre, se perd dans le bourbier et y meurt. La femme de Stapleton, dépitée par la liaison de son mari avec Laura Lyons et décidée à épouser Henry Baskerville, comptait dénoncer auprès des autorités ce chien-garou rival qui risquait d’embrasser avant elle son soupirant. Après une violente dispute, Stapleton l’attache à un poteau, persuadé que la venue d’Henry le soir même permettra enfin à Mrs. Mortimer de retrouver entière forme humaine. Beryl, une fois libérée, fait accuser Stapleton des meurtres. Cette accusation était bien nécessaire dans la mesure où elle risquait d’être jugée complice par l’esprit beaucoup trop rationnel de Holmes, lequel aurait été totalement incapable de croire à un récit sincère des faits véritables.

 

 

5. Lecture anti-newtonienne : Magic Loop (Solution de Sarah Delale, 3)

 

Véritable(s) coupable(s) : le chien et la jeune fille de la lande

 

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) : Sir Baskerville, sous toutes ses identités successives, lorsqu’il nuit à une femme

 

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) : le chien protège les femmes des Baskerville et de leurs assauts

 

Faits exploités : le portrait d’Hugo Baskerville ressemble de très près à Stapleton ; Stapleton disparaît sans laisser de cadavre à la fin du roman ; il y a un chien dans la légende et un chien dans le présent, qui pourraient être le même animal.

 

Explications :

L’abandon des principes newtoniens de la physique dans l’univers narratif permet d’expliquer la légende du chien et d’Hugo à rebours, par un trou de ver. Le chien des Baskerville est capable de voyager dans le temps et semble voué à protéger les femmes des Baskerville. Il tue Hugo parce que ce dernier a lancé les chiens à la poursuite de la jeune femme qu’il séquestrait. Il est responsable de la mort de Charles et de Stapleton, le premier ayant pu vouloir manipuler Laura Lyons autant que le second. Henry voulait épouser Beryl, déjà mariée : pourquoi ne pas supposer que ce soit lui qui ait attaqué Beryl, qui l’ait rouée de coups et attachée – ou bien qu’il ait chargé Stapleton de cette tâche sur son ordre exprès ? 

Le chien apparaît à l’époque de Charles Baskerville lorsqu’il est acheté par Mr. ou Mrs. Stapleton. Dans l’ordre chronologique de l’Histoire pourtant, le chien a d’abord tué Hugo. Les imprécations de la jeune fille de la lande sur un site celtique sacré lui auraient conféré la mission de défendre les femmes contre les seigneurs de Baskerville. Mais à la mort d’Hugo, un courant d’énergie temporel aurait aspiré le chien et l’aurait mené jusqu’à la boutique londonienne où les Stapleton se le sont procuré. Le goût de Mr. Stapleton pour les créatures étranges l’aurait poussé à acquérir le chien et à le ramener sur la lande, ou bien peut-être agissait-il sous l’influence de ce courant de force magique capable de déformer l’espace-temps. Revenu sur les terres des Baskerville, l’animal aurait poursuivi de lui-même sa mission sinistrement protectrice.

Après avoir tué Sir Charles, le chien aurait fait mourir Selden accidentellement et aurait tenté volontairement de tuer Sir Henry. Alors que le chien meurt sous les balles, Stapleton se trouve emporté à son tour dans le courant d’énergie temporel et reste piégé dans le passé, raison pour laquelle son corps demeurera introuvable. On remarquera en effet que la disparition du chien légendaire est concomitante de la mort d’Hugo et que la disparition de Stapleton est concomitante de la mort du chien couvert de phosphore (ledit phosphore étant peut-être la résultante chimique de déplacements spatio-temporels). Il semble que le chien, Hugo et Stapleton soient unis d’un lien tout particulier et par une énergie qui se libère au moment précis de leur mort. Peut-être ce lien entre un chien et deux hommes unit-il en réalité un chien et un seul homme.

Puisque Stapleton ressemble à Hugo, il pourrait tout aussi bien être Hugo. Disparaissant à la fin du roman, il serait en réalité remonté au début du roman où, désespéré par le désamour de sa femme Beryl, il serait devenu cynique et cruel.

Ici, il est nécessaire de postuler quelques faits complémentaires au sujet de Beryl Stapleton : étant donné son mariage malheureux, il est naturel d’imaginer qu’elle ait voulu se débarrasser de son mari, soit qu’elle ait eu le projet d’épouser Henry, soit qu’elle ait pris Mortimer pour amant, soit qu’en tant que maîtresse de Mortimer, elle ait voulu épouser Henry et l’assassiner ensuite, en hériter et épouser Mortimer débarrassé de sa propre femme, qui pourrait tout aussi bien être sa sœur. C’est Beryl qui s’est rendue à Londres, qui a filé Mortimer et Henry, écrit la lettre de mise en garde, volé la chaussure pour construire un faisceau d’indices soi-disant annonciateurs de meurtres à venir, et pour faire ensuite accuser son mari d’homicide manqué.

Stapleton devenu Hugo aurait lancé ses chiens à la poursuite de la jeune fille de la lande, reconnaissant en elle un double de sa femme, ou bien la désirant pour elle-même mais à travers sa haine de Beryl. Or c’est à ce moment que son propre chien (le chien qui, chronologiquement, deviendra son chien) apparaît pour la première fois sur la lande, prenant la défense de la jeune fille et l’attaquant mortellement. Le chien aurait ensuite gagné le XIXe siècle pour y rencontrer, en dernière instance, Sherlock Holmes et la mort.

Mais pourquoi le chien n’avait-il pas attaqué Stapleton lorsqu’il maltraitait Beryl ? Peut-être parce que Stapleton prétendait seulement être un Baskerville et qu’il avait falsifié son identité de longue date en espérant pouvoir un jour en tirer profit (il avait pu connaître, en Amérique du Sud, le frère cadet des Baskerville ; se faire passer pour son fils naturel eût été aisé). C’est seulement en retournant dans le passé et en se rendant maître du domaine des Baskerville que Stapleton-Hugo, en tant que Sir Baskerville, a pu devenir la victime du chien – et par là même, l’origine de la mission vengeresse du chien.

 

Pour découvrir les prolongements possibles et le bilan de la séquence

Rendez-vous sur les pages suivantes de notre enquête...

 

 

Pour citer cet article : 

Sarah Delale, "Comment enseigner la critique policière dans le secondaire ? Méthodes et pratiques à partir du Chien des Baskerville", IntercriPol - Revue de critique policière, "Grands dossiers : réouverture de l'affaire Baskerville (enquête policière et didactique)", N°002, Déc. 2020. URL : http://intercripol.org/fr/thematiques/critique-policiere/enseigner-la-critique-policiere-dans-le-secondaire-methodes-et-pratiques-a-partir-du-chien-des-baskerville/bilan-de-la-sequence.html. Consulté le 5 Février 2021.

 

Illustrations :

Affiche de l'adaptation du roman par Terence Fisher (1959) et photogramme de l'épisode "The House Jack built" ("L'héritage diabolique") de la série Chapeau melon et bottes de cuir  (the Avengers, S04Ep23, 1966) 

Note :

[1] Sherlock, série télévisée crée, scénarisée et produite par Mark Gatiss et Steven Moffat (et alii), 4 saisons, 2010-2017, saison 4, épisode 3.

Par Sarah Delale et ses élèves de seconde

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