Les missions d'Intercripol
Voici, en quelques mots, les champs d'action d'Intercripol. Vous pouvez cliquer sur les titres pour vous rendre directement dans chaque service.
Critique policière : enquêtes internes (à l'intérieur d'une œuvre) et transfrontalières (entre plusieurs livres)
Toute critique est policière si elle s’appuie sur un soupçon systématique de tous les éléments de l’œuvre, et vise à faire émerger un sens différent de celui qui semble évident. Elle s’appuie sur un examen rigoureux de tous ses détails, même les plus insignifiants en apparence – en particulier, elle cherche à donner sens à toutes les incohérences ou contradictions narratives. Elle estime que tous les silences et ellipses de l’œuvre, sont susceptibles de cacher des secrets, et même parfois des crimes – telle la page blanche au milieu du Voyeur d’Alain Robbe-Grillet, ou ces baisers fougueux que, selon Jean-Claude Mézières, leur créateur, Valérian et Laureline s’échangent hors des cases de leur bande dessinée. Assassins impunis, relations amoureuses cachées, personnages évincés de la narration...
Vous verrez, il y a beaucoup à explorer dans les blancs d’un texte, ou entre les images du montage d’un film.
Intercripol a aussi créé un service spécialement dédié à la recherche des personnages disparus, tels que les décrit Pierre Bayard dans cet article. Un phénomène aussi fréquent que choquant dans la fiction, auquel il est urgent de remédier. Nous ne pouvons plus tolérer, à l'ère démocratique, de telles pratiques sans réagir. Les personnages ont des droits, que diable.
Il est à noter qu'Intercripol, tout comme son homologue du monde réel Interpol, adopte une méthodologie d'investigation qui refuse de s'arrêter aux frontières de la fiction dans lequel elle enquête.
Notre organisation s'appuie sur la collaboration active de ses membres, spécialisé(e)s dans des champs de recherches très divers, et, de même qu'Interpol doit souvent traquer les criminels dans d'autres pays, elle est parfois amenée à mener l'enquête dans d'autres œuvres que celles initialement envisagées : alors que l’œuvre ne subit aucune modification de sa lettre, certaines histoires changent radicalement, en effet, si on les met en rapport avec d’autres. Le projet MATRIOChCA, notamment en s'appuyant sur les pistes lancées par notre équipe au cours de ses réunions de travail, vise à explorer les liens qui unissent, explicitement ou souterrainement, les fictions entre elles, et qui peuvent en modifier les enjeux et l'interprétation.
Le phénomène est indiscutable pour les fictions dérivées directement des œuvres (continuations, prequel, sequel, spin off...) ; mais l’on peut envisager d’autres rapprochements plus audacieux, des "annexions transfictionnelles par critique interposé" comme dit Richard Saint-Gelais, pourvu qu’ils soient toujours étayés par des indices tangibles. On ne regarde plus l’épisode IV de Star Wars de la même façon, une fois qu’on a eu connaissance du lien entre Dark Vador et Luke Skywalker. On ne voit plus Chérubin du même œil, selon qu’on a ou non connaissance du destin terrible révélé par Beaumarchais dans La Mère coupable. Le Prince charmant de nos contes de fées devient, d’un coup, beaucoup moins charmant si, comme le suggère le comics Fables, de Bill Willingham, on considère qu’il s’agit du même individu qui épouse, tour à tour, Blanche-Neige, La Belle au bois Dormant et Cendrillon. Le(la) lecteur(trice)/spectateur(trice) peut également décider de déplacer l’œuvre dans d’autres genres. par exemple, relire des fictions classiques comme des romans policiers, comme l’a notamment fait Pierre Bayard avec Hamlet, rend de fait suspectes toutes les morts qui s’y trouvent, et ouvre, en particulier, tout un champ d’interprétation nouveau. Parce que, comme l'a brillamment démontré notre membre d'honneur Uri Eisenzweig à propos de la Vénus d'Ille, il est bon d'ouvrir les frontières livresques, afin de penser nous-mêmes outside the box...
Critique judiciaire (Jugement en appel des procès douteux de la fiction)
InterCriPol, une fois épinglés les véritables criminels, se propose également de rendre impartialement la justice - à l'instar de critiques-magistrats comme Arnaud Welfringer, qui a déjà réglé dans Lire contre l'auteur une sombre affaire d'héritage exposée dans une fable de La Fontaine. Il y a de nombreuses erreurs judiciaires dans la fiction - et, comme le dit si bien notre Président d'honneur (que sa sagesse éternelle nous éclaire dans la voie du Bien et du Vrai), we have to finish the job. Le tribunal d'InterCriPol est donc désormais là pour assurer à tous les personnages, quel que soit l'acharnement dont ils ont été victimes, et quelle qu'ait été la peine initiale qui leur a été infligée au sein de l'œuvre, une sentence raisonnée et équitable. Suivant l'exemple de courageux avocats comme Maurice Garçon, qui dans ses Plaidoiries chimériques prenait, contre toute la tradition littéraire, la défense de Julien Sorel ou d'Electre, ou comme Jacques Hamelin qui assurait à la fois la défense et l'accusation de ses Procès imaginaires, nous établirons avec certitude sous quels chefs d'accusation on doit instruire le procès, et dans quelle mesure ils méritent d'être condamnés aux yeux de la postérité. Et ainsi, nous nous faisons fort de voler au secours de minorités fictionnelles brimées - tel cet androïde de Blade Runner, réclamant protection contre la puissante Tyrell Corporation, qui l'a conçu (et qui a été condamnée à lui verser 100 000 euros de dommages et intérêts).
La Critique policière à travers les âges
On peut considérer que, pour des raisons diverses et pour des enjeux très différents, la critique policière a toujours existé. La notion a été théorisée par Pierre Bayard en 1998, avec Qui a tué Roger Ackroyd ?, paru aux éditions de Minuit. C’est lui qui a, le premier, suggéré que la solution proposée à la fin du roman présentait de nombreuses failles, et que, pour découvrir l’identité de l’assassin, le lecteur(trice) à la recherche de la vérité devait reprendre l’enquête. Mais ce n’est pas à l’auteur du Plagiat par anticipation qu’on va apprendre que les lectures suspicieuses, inspirées de sa démarche, ont vu le jour bien avant lui. Pour en savoir plus sur l’histoire de la critique policière et les modalités propres à sa pratique à chaque époque, rendez-vous ici
Archives : manuscrits, brouillons et indices disparus
On ne connaît bien souvent que le dernier état d’une œuvre ; mais celui-ci est parfois très différent du projet de départ. MATRIOChCA a aussi pour but de constituer une base de données et de donner accès à différents possibles invisibles, qui modifieront la perception que vous avez de vos œuvres préférées – brouillons d’écrivain(e)s, scénarios d’origine, variantes, director’s cut, etc. Parce que ce n’est pas parce que l’auteur(e) ou le studio a préféré l’effacer que vous n’avez pas le droit de vous promener dans ces versions alternatives – et même de les préférer. Une collecte d'archives précieuse pour nos enquêteurs, qui pourront ensuite s'appuyer sur ces pièces à conviction escamotées pour mener l'enquête.