Genette vivant : la paralipse et le tableau

1 - Genette

 

Intercripol signale à tous ses agents le très riche numéro de Poétique, dirigé par Michel Charles en hommage à son fondateur, Gérard Genette, auquel ont contribué plusieurs agents de notre organisation.

 

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Si l'ensemble du numéro est à recommander (des émouvants souvenirs personnels de Jean-Benoît Puech aux envolées de Christine Montalbetti sur les ailes de la métalepse), nous attirons tout particulièrement l’attention de nos enquêteurs sur deux articles : celui de Marc Escola, qui, dans « ‘’Chaque âge a ses plaisirs’’. Les aventures de la paralipse » conceptualise malicieusement, en le poussant dans ses retranchements, un outil narratologique précieux pour nos investigations futures, et celui de Frank Wagner, qui, à la faveur de ses "fragments d'un abécédaire genettien", bat en brèche quelques idées reçues.

 

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Marc Escola, tel la Genette que décrivent les précis d’éthologie consacrés à ce petit mammifère carnivore, redoutable chasseur,  se glisse habilement dans la logique de la figure, traque son objet et se faufile dans tous les recoins, ne lui laissant aucune chance de fuite. 

 

 

Il arrive, avait déjà noté Genette, que la fiction nous mente par omission – et taise tel élément important de la narration. Entre paralepse et paralipse, Genette a ainsi théorisé certains dispositifs narratifs qui sont le support de cette mauvaise foi que notre secrétaire perpétuel, Maxime Decout (qui en ce jour glorieux fête son entrée dans la maturité), avait repérée comme l'un des moteurs essentiels de la littérature - où puise sans vergogne la critique policière (En toute mauvaise foi, Minuit, 2015). 

 

Marc Escola reprend l’enquête : est-il si facile de distinguer cette figure d’une simple ellipse, à partir du moment où l’élément n’a pas été toujours omis intentionnellement, mais inventé en chemin et donné après coup au bénéfice de la suite ? La paralipse n’existe-t-elle que dans son comblement rétrospectif ? Quel statut accorder à ces « oublis » s’ils ne sont pas explicitement réparés, et par là exhibés ? Tout récit admet-il un nombre infini de paralipses ?

 

Reprendre la paralipse genettienne avec la perspective soupçonneuse de la critique policière, c’est se donner la possibilité de découvrir des histoires cachées entre les lignes du texte, même si la narration n’y revient pas explicitement – puisque le récit ne lève bien souvent le voile que sur une petite partie de ses silences, ceux qu’il est obligé de révéler pour poursuivre son récit.

 

On en prendra mieux conscience en se posant cette question toute simple : avec qui et dans quelles circonstances le narrateur d’À la Recherche du temps perdu a-t-il perdu sa virginité ?

 

« […]  [La paralipse] constitue l’un des rares procédés narratifs à faire l’objet de deux définitions dans « Discours du récit » : la première au chapitre de l’ordre et des anachronies, comme une variété de lacune aux côtés de la simple ellipse, qui se prête comme elle au comblement rétrospectif par une analepse complétive ; la seconde au chapitre du mode, comme une infraction au code de focalisation dominant pour un texte donné. […] Les deux définitions de la paralipse visent bien un seul et même procédé envisagé d’abord du point de vue de l’ordre « pseudo-temporel » de succession des événements dans le récit, ensuite comme fait de mode, au titre des altérations de « point de vue ». On peut admettre que le phénomène se prête à deux saisies différentes, selon qu’on s’attache à l’ordre des événements énoncés (il manquait quelque chose) ou à leur énonciation (on nous cachait quelque chose). Le trouble vient d’ailleurs : de la diversité des exemples allégués, qui diffèrent d’un examen à l’autre et qui s’avèrent tous diversement problématiques. La difficulté suit de près : à la différence des autres procédés répertoriés dans « Discours du récit », la paralipse n’a pas d’existence textuelle « formelle » en tant que telle ; définie comme un manque, lacune ou omission, elle n’acquiert d’existence que lorsqu’elle nous est révélée après coup dans l’analepse qui vient la combler. Si la paralipse fait brèche dans le tissu textuel, elle pourrait bien ouvrir un abîme sous les pieds du théoricien du récit.  Lire l'intégralité de l’article sur Cairn

 

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Quant à Frank Wagner, notre inspecteur et correspondant officiel sur les côtes de granit rose, il revient sur la pratique du tableau et de la taxinomie chez Genette, soulignant le rôle essentiel des cases blanches qui sont autant de brèches dans les frontières et de possibles pour d’autres investigations. Il scrute au passage ce qui constitue l’ethos de l’auteur de Figures III, rappelant le rôle central de son humour qui, du pince-sans-rire au ravageur, aura parfois échappé à ses contradicteurs. Frank Wagner prend soin de remettre au centre de la pensée de Genette la construction textuelle de l’axiologie chez un chercheur soucieux d’assumer sa subjectivité sans qu’elle nuise à la rigueur de la démonstration.

 

Une belle leçon que la critique policière sait garder à l'esprit...

 

 

«A» comme «admiration»

Ce collègue accuse réception, par courrier électronique, de l’article que je lui ai transmis pour le compte du volume collectif dont il assure la direction scientifique. Il me félicite, comme il se doit, de la tenue intellectuelle de ma contribution, et me remercie en outre de lui avoir offert «le plaisir d’un savoureux pastiche de Gérard Genette » (sic)... ce que mon texte ne prétendait évidemment pas être. Comme le confie «H2» à «H1» dans la pièce de Nathalie Sarraute, « ça m'a donné à réfléchir...».

S’il convient bien sûr de faire ici la part de l’humour ou de l’ironie, dont l’auteur de «Morts de rire» a bien montré que la différenciation n’est d’ailleurs pas toujours aisée, dans «l’affaire» qui nous occupe, l’imputation de pastiche genettien mérite malgré tout qu’on la scrute d’un peu près, tant elle recèle de potentiels enseignements. En effet, il peut tout d’abord être tentant de lui attribuer une valeur d’indice quant à la nature des relations interpersonnelles en milieu universitaire, que l’on situera, sur cette base, quelque part entre la guerre en dentelles et le duel à fleurets mouchetés.  Lire l'article en intégralité sur Cairn...

 

 

Illustrations : Genette fondant sur sa proie ; schéma de classification du vivant (Encyclopédie Larousse)

 

 

 

 

 

Par Maxime Decout et Caroline Julliot

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