Postface à la publication des actes du premier symposium de critique policière : Vers un bouleversement des disciplines
Le premier colloque de critique policière organisé au Mans par Caroline Julliot, à laquelle va toute ma gratitude, a amplement confirmé la fécondité de cette méthode et devrait faire taire définitivement les plus sceptiques. Je ne reviendrai pas ici sur ses acquis évidents en matière d’exploration des œuvres, préférant souligner, afin d’élargir la perspective, plusieurs des apports qu’elle est susceptible de fournir à différentes disciplines.
En évoquant toutes les lectures possibles des textes littéraires, y compris les plus inattendues, la critique policière se place au cœur même de la production du sens, en son foyer actif. A ce titre, elle fournit un éclairage singulier sur la manière dont nous recevons les textes et les images, et devrait occuper une place privilégiée dans les réflexions que mènent les théories de la lecture, aujourd’hui en pleine expansion.
Cette réflexion sur l’origine du sens devrait ainsi lui conférer une place majeure dans l’enseignement des humanités, et ce dès la maternelle. On peut remarquer que son souhait de faire de la lecture une activité inventive s’inscrit dans un mouvement général de réflexion pédagogique – comme le montre le développement à l’université de la création littéraire –, qui incite à ne pas séparer, dès le plus jeune âge, lecture des textes et écriture de fiction.
Cette place au cœur du sens crée aussi une familiarité particulière entre la critique policière et la paranoïa. Freud insistait sur la proximité entre le délire et la théorie, et sur la fragilité de la frontière qui les sépare. Pour cette raison, les paranoïaques constituent de précieux alliés pour les critiques policiers, avec lesquels ils entretiennent un dialogue fécond, et qui ont beaucoup à leur apprendre par leur créativité dans le décryptage du réel.
Une familiarité partagée, sur le plan politique, avec les théories du soupçon que l’on voit fleurir aujourd’hui et sur lesquelles la critique policière, mieux à même qu’une autre d’en démonter les mécanismes et les subterfuges, devrait en toute logique se voir confier des missions d’expertise, puisqu’elle partage avec elles, mais pour des motifs heureusement plus louables, la méthode de l’hypercritique.
Enfin la critique policière est la plus susceptible de jeter un pont entre les sciences humaines et les sciences dures, en particulier avec la physique quantique. L’un de ses fondements épistémologiques naturels est en effet la théorie des univers parallèles, qui montre comment les œuvres absentes de notre monde existent dans d’autres, conviction que partage la critique policière, attentive aux traces laissées par ces créations virtuelles sur celles qui ont eu la chance de naître.
Théorie de la lecture, pédagogie, psychanalyse, politique, physique – la liste n’est pas exhaustive –, on voit, au-delà des propositions de bon sens de la critique policière sur ce qui s’est réellement passé dans les œuvres, la diversité des disciplines sur lesquelles elle a son mot à dire et devrait pouvoir exercer un droit de regard. Il est grand temps de s’organiser en conséquence. Le colloque historique du Mans, en ce sens, n’est qu’un point de départ.
Pierre Bayard, « Postface. Vers un bouleversement des disciplines »,
Fabula / Les colloques, Premier symposium de critique policière. Autour de Pierre Bayard, URL : http://www.fabula.org/colloques/document4840.php, page consultée le 20 juin 2018.
Auteur
Pierre Bayard
Université Paris 8 (Laboratoire Littérature, Histoires, Esthétique)
Article publié
le 06 novembre 2017