Le roman policier sous le IIIe Reich, un genre subversif ?
Afin de contribuer à l'investigation collective, et parce qu'aucun site internet n'échappe à la loi de Godwin qui veut que, tôt ou tard, dans un échange, on soit irrésistiblement amené à évoquer l'exemple nazi, notre nouvelle recrue Vincent Platini (bienvenue à lui !) met à la disposition de nos agents le chapitre plus intercripolien par anticipation de son ouvrage de 2014, consacré aux interprétations dissidentes des romans policiers écrits en Allemagne entre 1933 et 1945.
Un grand merci aux éditions de La Découverte, qui ont accepté le principe de cette publication.
Nous lui laissons la parole pour présenter sa perspective :
"Contrairement à ce que l'on pourrait croire, on s'est beaucoup amusé sous le IIIe Reich. Le divertissement était bien nécessaire pour supporter ou pour conforter la dictature : les loisirs du quotidien, les films, les romans prenaient des teintes brunes mais permettaient aussi de s'évader du régime. Vincent Platini propose une relecture du IIIe Reich par le spectre du divertissement populaire, entre propagande douce et subversion méconnue. Il met notamment l'accent sur une production culturelle négligée par les nazis, le roman policier. Le Krimi d'outre-Rhin a fait bien plus que survivre à l'arrivée au pouvoir du moustachu : on compte près de 3 000 nouveaux titres entre 1933 et 1945, avec des best-sellers comme Die Spur im Hafen (1936) de Georg van der Vring ou des auteurs résistants tel Adam Kuckhoff, exécuté en 1943 pour son activité dans le groupe Die Rote Kapelle, non sans avoir auparavant laissé quelques Krimis particulièrement retors.
L'ouvrage considère ici la question de l'interprétation : qu'est-ce que bien lire un texte sous le IIIe Reich ? Le regard, bien entendu, est politiquement orienté, mais le public ressent aussi l'angoissante liberté de se tromper. La dictature, loin de brider le sens, incite à la réinterprétation. On procède alors à des lectures tremblées, décelant parfois des voix contestataires dans des oeuvres trop ambiguës pour tomber sous le coup de la censure."
Bonne lecture !