Cohabiter la fiction. Lecture ordinaire, univers de croyances et interprétation des mondes littéraires

 

 

Peut-on parler d’une fiction sans la changer ? Il est rassurant d’en convenir, l’accepter fonde même une partie du crédit traditionnellement conféré au commentaire. Dans une autre optique, qui vire rapidement à l’élitisme, la possibilité de lire sans modifier installe une frontière entre les lectures « ordinaires » qui pratiqueraient un ensemble d’hypothèses « naïves », sinon franchement interventionnistes, et les lectures « savantes » qui s’évertueraient à ne rien changer de la fiction, à faire apparaitre le sens de ce qui est bien là, inamovible, figé dans le marbre de l’advenu.

 

Cohabiter la fiction propose de critiquer cette dichotomie des lectures, en empruntant les perspectives les plus constructivistes de la narratologie et des théories de la fiction. Son hypothèse principale se résume dans l’affirmation que les mondes de fiction n’ont pas de vérité stable puisqu’ils ne sont rien d’autre que le produit des subjectivités en conflit (personnages, voix narrantes, etc.) qui les habitent. L’ouvrage cherche alors à réviser la position cognitive et épistémique de celui ou celle qui commente le monde, en soulignant combien il ou elle est contraint.e d’arbitrer entre les versions coprésentes et d’élaborer son propre univers de croyances : de cohabiter la fiction. 

 

Il s’agit alors d’établir, dans le fil de l’ouvrage, différentes cartes herméneutiques qui soulignent les croyances possibles des interprètes sur les possibles des textes, à partir d’une œuvre dramatique de Corneille, d’un récit homodiégétique de Poe et d’un récit hétérodiégétique de Sade. On y découvrira peut-être que même les plus « savantes » des lectures, la plus complexe des interprétations hégéliennes ou le plus élaboré des commentaires psychanalytiques reposent peut-être sur une « simple » divergence dans le degré de confiance ou d’ironie décelé au détour d’une réplique – on y trouvera aussi quelques délires critiques inspirés des travaux de Pierre Bayard qui indiquent inévitablement la présence d’extraterrestres là où on n’en avait jamais vu auparavant : dans les fictions classiques. S’il présente une réflexion sur l’interventionnisme ontologique à l’interprétation, en amont encore de toute volonté explicite de contre-enquête, Cohabiter la fiction pourra peut-être ajouter une pierre à l’édifice théorique de la critique policière. 

 

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Image : Robert Doisneau, La Maison des locataires, Photo-montage en N&B, 1960, Centre Pompidou. 

Par Aurélien Maignant

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