Ré-ouverture de l'Affaire "Ils étaient dix" (ex-"Dix petits nègres")

 

 

Voilà une histoire qui a défrayé la chronique. Ce classique incontesté du roman policier est célèbre pour proposer l’une des solutions les plus inventives du genre. Dommage que ce soit une mystification.

 

 

AVERTISSEMENT AUX LECTEURS ET LECTRICES :

 

CETTE ENQUÊTE COLLECTIVE A ETE REALISEE EN 2018-2019, DANS LE MONDE D'AVANT - CELUI OU LA FRANCE RESTAIT L'UN DES DERNIERS PAYS A NE PAS AVOIR SUPPRIME DE SA TRADUCTION LES TERMES RACISTES DE L'EDITION ORIGINALE, CORRIGES PAR DIVERS BIAIS, AVEC L'ACCORD DE L'AUTRICE ELLE-MÊME, NOTAMMENT DANS LES VERSIONS ANGLOPHONES, PEU DE TEMPS APRES LA PARUTION DU ROMAN.

NOUS NOUS REJOUISSONS QUE LES "PETITS NEGRES" SOIENT PORTES DISPARUS DANS LA NOUVELLE EDITION, MAIS NE SOMMES PAS ENCORE EN MESURE D'ACTUALISER TOUTES LES MENTIONS DU TEXTE EN LES ADAPTANT A LA TRADUCTION REVISEE PARUE COURANT 2020. NOUS VOUS DEMANDONS DONC D'AGIR EN BONS CRITIQUES INTERVENTIONNISTES, ET D'AMELIORER AU BESOIN NOS REFERENCES IMPARFAITES, EN REMPLACANT, A CHACUNE DE LEURS OCCURRENCES MALHEUREUSES, LE MOT "NEGRE" PAR CELUI DE "SOLDAT", ET L'ANCIEN TITRE ( DIX PETITS NEGRES ) PAR LE NOUVEAU ( ILS ETAIENT DIX ).

 

MERCI DE VOTRE COMPREHENSION ET BONNE INVESTIGATION.

 

 

 

Une île déserte, au large de la côte anglaise. Dix personnes, invitées par un mystérieux M. O’Nyme, débarquent. Ils ont tous un point commun : avoir commis un crime pour lequel ils n’ont pas pu être condamnés. La police, arrivant sur les lieux quelques jours après, découvrira dix cadavres, exécutés méthodiquement selon les paroles d’une vieille comptine. Personne n’a pu ni rejoindre ni quitter l’île entretemps.


Plus tard, Scotland Yard recevra, dans une bouteille à la mer (très très opportunément) retrouvée par un pêcheur local, une lettre où l’assassin dévoile comment il a procédé.

 

Sauf que, comme nous l'explique Pierre Bayard, les choses n’ont pas pu se passer de cette façon...

 

 

Vous savez maintenant que la lettre présentée dans l’épilogue est un faux – et que le meurtrier désigné par Agatha Christie est vraisemblablement innocent.  

 

ALORS, QUE S'EST-IL VRAIMENT PASSÉ ?

 

Un enquêteur, Cédric Bachellerie, avait déjà tenté de découvrir la vérité il y a quelques années :

 C'est alors qu'elle est une écrivaine au succès incontesté qu'Agatha Christie publie en 1940 un roman policier ludique et inédit qui mystifia même ses lecteurs les plus imaginatifs (...) Après cent-quatre-vingts pages sombres et perturbantes où l'action nous est décrite comme un cauchemar par un narrateur dont le point de vue omniscient explore jusqu'aux pensées intimes des protagonistes, le lecteur accueille le point de vue subjectif des dernières pages comme un doux retour à la réalité. Aussi a-t-on tôt fait de confondre le témoignage signé du juge Wargrave avec la réalité objective des événements de l'île du nègre. (...) Pourtant, le persistant enquêteur littéraire, détaché de toute considération morale ou métaphysique, se doit de corriger les apparences trompeuses. Le juge Wargrave n'est pas l'assassin de l'île du Nègre et sa lettre est un faux. Télécharger l'article, paru dans la revue Belphegor en 2013.

 

Cédric Bachellerie a également aiguisé ses torpilles et exercé un légitime droit de réponse aux allégations de Pierre Bayard dans la vidéo tournée à l'occasion de notre sommet annuel, à l'Université du Mans, avant d'éclairer, lors de la deuxième session de notre workshop, les mobiles cachés de l'assassin - des mobiles ne relevant pas, nous démontre-t-il, du genre policier  : 

Je me sens bien évidemment une responsabilité inéluctable à rester proche de votre initiative, en particulier tant que Pierre Bayard aura dans l’idée de publier un livre intitulé La Vérité sur les Dix petits nègres. J'adore Professeur Pierre Bayard et j'admire le sérieux de son travail scientifique. C'est pour cela que je crains que sa réputation ne soit la prochaine victime de l’île du Nègre. En effet, soit la promesse du titre de son prochain livre est tenue, et dans ce cas-là il s'agit forcement d'un plagiat de mon enquête, soit le propos est original, mais là il ne s'agit plus de la vérité et le titre est mensonger.  De même, l'idée  d'Intercripol de cacher l'arbre de la vérité dans une foret d'"alternative facts" ne saurait être attendue de la part de chercheurs(ses) sérieux (ses) ... vous n’êtes pas Donald Trump, que Diable! La vérité, c'est la vérité! Lire la suite

 

Mais, n'en déplaise à notre agent par anticipation (et désormais membre effectif), l’investigation continue. Fidèle au principe scientifique de falsifiabilité cher à Karl Popper, celle-ci rebondira chaque fois que de nouveaux éléments seront soumis à la sagacité collective, et d’autres hypothèses sont envisageables.

 

Clara Sitbon, co-directrice d'Intercripol-Australie, nous propose d'ailleurs d'élargir la perspective et d'aller traquer le ou les assassins en examinant de près de nouvelles pièces à conviction : les différentes adaptations, cinématographiques et télévisées, du roman. Elle a elle-même, à l'occasion de la deuxième session de notre workshop, passé au peigne fin la série récente de la BBC (2015), et nous présente son rapport. Voir la vidéo 

 

Intercripol a donc missionné ses meilleurs agents sur l’affaire, et voici leurs conclusions :

 

  • Uri Eisenzweig, membre d'honneur d'InterCripol, a, quant à lui, débusqué le coupable en suivant la piste des préjugés racistes qui travaillent le texte - et dont il nous rappelle à quel point ils structurent l'imaginaire du roman policier à cette époque :

J'ai regardé et écouté avec la plus grande attention la communication de Pierre Bayard au Mans, en mai 2018, touchant aux Dix petits nègres, texte auquel il consacre un ouvrage à paraître en janvier. Il me faut y répondre sans attendre, afin d'éviter que la simple vérité ne s'enlise dans de faux débats et, qui sait, de permettre peut-être à mon estimé collègue de s'épargner une situation gênante en retirant son livre avant qu'il ne sorte. Ne négligeons pas les effets souvent bénéfiques de la critique par anticipation. Lire la suite

 

  • Caroline Julliot, Grande Enquêtrice de notre organisation, en vacances dans le secteur l’été dernier, a retrouvé, au large de l’île du Nègre, une bouteille contenant de nouvelles révélations:

Il fallait, décidément, que j’aie une imagination incurablement romanesque pour coucher ma vraie histoire sur  papier, et pour la jeter, à mon tour, à la mer, des années après avoir fait remettre à Scotland Yard l’improbable fausse confession, prétendument rédigée par le vieux Wargrave, que tout le monde connaît ; et qui, malgré sa profonde invraisemblance, fait encore les délices des amateurs d’énigmes policières. Lire la suite

 

  • Maxime Decout, notre secrétaire perpétuel, en révélant l'identité du coupable, dévoile les mécanismes secrets de composition du roman et la manière dont celui-ci a engagé la modernité dans un renouveau de l'écriture du polar :

J’ai le regret de vous annoncer que je vais ruiner tout le suspens de cette journée en révélant, ici même, l’identité du criminel. Je le déplore d’autant plus que c’est à l’instigation de Pierre Bayard que j’ai rouvert ce dossier classé. Mais les règles du jeu sont ce qu’elles sont : impossible de reculer désormais, je vais devoir éventer la manœuvre fourbe que Pierre Bayard lui-même n’aura pas manqué de découvrir. Lire la suite

 

  • Alistair Rolls, directeur de notre bureau Australie, nous propose de relire l’ensemble du texte comme un rêve agité (et donc passablement incohérent) du juge Wargrave :

I am conscious as I embark on this attempt to shed new light on Agatha Christie’s classic variant on the locked-room mystery of letting the side down, of failing in the mission entrusted to me by my colleagues at InterCriPol by not quite getting the job done. The challenge set is to restore the balance of justice by finding the truth, by which is meant in this case the “real identity” of the killer. From the outset therefore, the mission is predicated on the innocence of Mr Justice Wargrave, or at least his failure to be guilty, to accomplish the crime of which he is accused, and indeed of which he appears to accuse himself, in And Then There Were NoneLire la suite

 

  • François Thirion, de la brigade germaniste, est parvenu, avant de prendre connaissance des rapports de nos autres enquêteurs  à des conclusions similaires à celles d'Alistair Rolls ; mais lui a compté sur la science, médicale et neurologique, pour retracer le fil des événements - se demandant au passage si Dix petits nègres ne serait pas à classer parmi les histoires fantastiques écrites par Agatha Christie :

 Ayant fait le choix en termes méthodologiques de lire les ouvrages sous l’angle de l’analyse des biais cognitifs et du rapport au réel, j’aimerais faire préalablement la déclaration suivante : il n’y qu’un mort à déplorer dans le roman d’Agatha Christie. Pour le démontrer, je vais diviser mon intervention en trois points : le réel, le surnaturel et le médical. Lire la suite

 

  • Tirant des différentes investigations de nos agents les conclusions qui s'imposent, Jessy Neau, co-directrice d'Intercripol-Canada, nous démontre qu'un détour du côté de notre société du spectacle n'est peut-être pas inutile pour comprendre ce qui s'est passé sur l'île du Nègre :

La solution que je soumets se nourrit, preuve de la dimension fortement collective d’Intercripol, de plusieurs observations émises par mes collègues, et de certaines directions empruntées par leurs enquêtes respectives, aux conclusions pourtant fort différentes. (...) Cependant, ma solution engage une toute autre direction interprétative. Lire la suite

 

  • Quant à Sarah Delale, c'est en érudite médiéviste et en amatrice de la théorie quantique qu'elle a abordé le roman - et en est venue à la conclusion que l'œuvre, telle qu'on la connaît, doit être, comme c'était souvent le cas au Moyen Age, le fruit de la continuation de plusieurs auteurs. Ayant ainsi débrouillé, par une démarche philologique rigoureusement scientifique, les états successifs du texte, notre intrépide détective va débusquer le coupable en nous révélant que, là encore, ils étaient (au moins) deux...

Moi qui me tiens devant vous, médiéviste de profession, et vingtiémiste seulement de naissance, je voudrais commencer par témoigner d'un sentiment personnel à l'égard des Dix petits nègres (...) Le roman m'a donné une impression d'hétérogénéité, avec ce double épilogue, cette lettre finale très lyrique, stylistiquement coupée du reste du roman, dont le style est très sec (...) La lecture révélait, en plus des disparités stylistiques, des rythmes narratifs divergents, une caractérisation aléatoire des personnages (...), et un mélange des genres parfois contradictoire. Lire la suite

 

  • Florian Besson, historien et nouvelle recrue de la très active brigade médiévale, nous propose de relire le texte à la lumière de la vertigineuse uchronie Thursday Next - où l'on découvre que les personnages de fiction sont parfaitement conscients de leur sort et revivent, à chaque lecture, leurs aventures : 

Les personnages de Dix Petits Nègres sont des personnages de fiction. Nous le savons, évidemment. Mais eux le savent également – ce qui, admettons-le, n'est généralement pas le cas de la plupart des personnages fictionnels, ou du moins ont-ils la décence de ne pas le clamer aussi ouvertement que ceux du roman qui nous occupe aujourd'hui. Lire la suite

 

  • L'enquête vient de rebondir grâce à Fabien Jacquard, qui a envoyé à Intercripol, non pas sous forme de bouteille à la mer, mais d'un très moderne document numérique, le précieux témoignage d'un autre cerveau machiavélique et tueur en série autoproclamé. A lire sous l'égide de l'excellent film à énigme parodique Murder by death (Un cadavre au dessert, 1976) - feu d'artifice de cabotinage intra et extradiégétique où un excentrique millionnaire interprété par Truman Capote invite à dîner un aéropage de détectives renommé(e)s et non moins excentriques (caricatures des grands enquêteurs et enquêtrices de roman policier) à découvrir l'assassin qui tuera l'un d'eux à l'heure du crime (minuit pile) :

 C’est avec un intérêt toujours renouvelé que je prends connaissance des révélations concernant les événements tragiques survenus sur l’île du Nègre. En 1939, Agatha Christie avait établi sans l’ombre d’un doute la culpabilité du juge Wargrave, et, depuis 80 ans, les enquêteurs se succèdent, chacun réussissant le tour de force d’invalider l’hypothèse de la vénérable romancière en incriminant un autre protagoniste. Est-ce parce qu’il me concerne directement que je suis toujours attentif à ce qui entoure le livre d’Agatha Christie ? Aurais-je à ce point remarqué cet ouvrage si j’avais été totalement étranger à l’affaire ? Je ne saurais le dire précisément. Ce qui reste certain, c’est que j’ai bien des fois été surpris et fasciné par l’imagination des passionnés depuis que j’ai moi-même quitté l’île. Aujourd’hui, face à leur abnégation, et afin de les contenter pleinement, je considère comme l’achèvement de mon œuvre de dévoiler enfin les ressorts des événements qui se sont déroulés à l’époque dans ce lieu d’une sauvage beauté. Lire la suite

 

Et parce qu'aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années...

 

  • Notre jeune et fringante enquêtrice Elsa Nedelec nous enjoint, d'une manière hautement suggestive, à lire le roman, non plus comme un polar, mais comme une allégorie, une fable morale renvoyant le lecteur à son propre rapport (complice, coupable?) à la pénalité :

Un coup de maître, voilà ce qu’opère en 1939 Agatha Christie. Elle ne le sait pas encore, mais son roman Ten Little Niggers deviendra le plus célèbre roman policier de tous les temps. Mais ce qui rend la chose vraiment fascinante et admirable, ce n’est pas la renommée incroyable de son roman, non, le vrai prodige est que ce chef-d’œuvre policier soit en fait une histoire ne comportant en elle ni détective... ni meurtrier. Lire la suite

 

  • J. Elise Pryor, piquée par le virus de l'investigation lors du séminaire d'Alistair Rolls (ce sont les risques du métier, notre jeune collaboratrice le sait désormais), s'est fondée sur les détournements opérés dans l'intrigue par la web-série parodique Ten Little Roosters (2014) pour rouvrir l'enquête, et nous proposer des conclusions encore différentes : 

(...) After investigating the Rooster Teeth copycat one factor wedges itself firmly in mind necessitating a re-examination into the original case. The killer was killed and then there was one. Perhaps much like Barbara’s RT killings the original design for the Soldier Island murders went astray resulting in a smokescreen solution disguising the true villain. What if Justice Wargrave like Ryan is simply a suitable scapegoat framed by the mastermind for the murders? The killer was killed but was the killer the killer?  Lire la suite   

 

ET VOUS ? VOUS PENSEZ DETENIR LE FIN MOT DE CETTE TRISTE HISTOIRE ?

 N'hésitez pas à nous faire part, en commentaire, des indices que vous avez pu relever ou vos hypothèses, ou écrivez-nous pour nous proposer votre solution alternative complète.  

 

 

NOTRE GRAND CONCOURS Save Justice Wargrave (SAUVONS LE JUGE WARGRAVE) EST OUVERT !

 

L'hypothèse la plus convaincante gagnera un exemplaire dûment dédicacé du livre de Pierre Bayard, et se verra offrir le statut hautement convoité de membre d’honneur de notre organisation. 

 

 

intercripol