Prolongements littéraires et artistiques

 

 

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Au collège comme au lycée, l’Éducation Nationale recommande toujours d’adjoindre aux séquences de français des prolongements artistiques et culturels « faisant dialoguer textes littéraires, œuvres relevant des autres arts et éclairages critiques et documentaires [1] ».

 

 

 

 

 

La confrontation de Chien des Baskerville avec sa relecture par Pierre Bayard représente déjà un éclairage critique du texte. Cependant pour les enquêtes de Sherlock Holmes, il est très facile de proposer des comparaisons intermédiales passionnantes. J’en présenterai brièvement quelques-unes, toujours dans la perspective de la critique policière. Ces prolongements se prêtent particulièrement bien à un traitement en fin d’année scolaire (puisqu’avec la réforme du lycée les secondes ont désormais cours jusqu’à fin juin), à un moment où l’attention est fortement mise à l’épreuve par la fatigue nerveuse d’une année d’enseignement et par la proximité des grandes vacances. 

 

Les adaptations cinématographiques constituent presque toujours des réarrangements de la trame narrative des livres, puisqu’un roman contient en règle générale plus de scènes qu’un film mais beaucoup moins de scènes qu’une série. Visionner des adaptations du Chien des Baskerville est sans doute la démarche qui vient le plus naturellement à l’esprit dans le cadre de notre séquence – et en premier lieu celle de la série Sherlock [2], qui transpose les intrigues de Holmes au début du xxie siècle. On laisse à l’enseignant.e le soin de choisir l’angle d’analyse qu’il.elle juge le plus intéressant en prolongement de la séquence : exploration d’un nouveau mode de réinterprétation (conservation du noms des personnages et transpositions métaphoriques ou utilisation détournée de quelques éléments, comme les signaux lumineux ou le brouillard ; modification substantielle du rôle des personnages et de la nature de l’intrigue) ; étude de la modernisation des motifs (par exemple le rapport de Holmes au tabac ou le blog de Watson) ; adaptation de la caractérisation des personnages (Holmes paraissant par moments plus sensible que Watson à la dimension fantastique de l’enquête, à l’inverse du roman), etc. Autant de sujet qui permettent aux élèves de réinvestir des outils narratologiques et des grilles d’interprétation scolaires dans un mode de récit plus proche et plus mimétique de leur monde quotidien.

 

De même une séquence consacrée à la première aventure de Sherlock Holmes, Une étude en rouge, trouverait un prolongement très intéressant dans le visionnage d’« Une étude en rose », premier épisode de la même  série Sherlock [3]. Ce visionnage peut susciter des discussions intéressantes avec les élèves sur ce qui se perd et sur ce qui se transforme dans les enquêtes de Holmes lorsqu’interviennent la société et la technologie modernes. À quoi ressemblerait Holmes dans une société de l’information et de la communication ? Comment transposer dans notre actualité des codes romanesques et des personnages qui font référence aux valeurs de la société industrielle ? Que penseraient nos contemporains de la collocation Holmes-Watson et comment leurs personnages seraient-ils caractérisés aujourd’hui ? Autre fait d’importance : une première version de cet épisode pilote avait été tournée mais, jugé insatisfaisante et maladroite, elle n’a jamais été diffusée. Une seconde version a ensuite été produite et intégrée à « Une étude en rose ». Il y a là des comparaisons passionnantes à mener sur l’efficacité ou l’échec de la fiction, sur une bonne et une mauvaise conduite de l’intrigue, du suspense ou de la curiosité, sur une construction réussie ou déficiente des personnages [4].

 

Toujours sous l’angle de l’adaptation-réinvention, il est possible de faire lire la nouvelle « La Cycliste solitaire » qui a été adaptée avec Jeremy Brett dans le rôle de Holmes [5], mais qui a aussi servi de point de départ à un épisode des Mystères du véritable Sherlock Holmes, « Les yeux de la terreur [6] ». Cette dernière série utilise un principe de transfictionnalité [7] bien connu, qui consiste à faire vivre à un.e auteur.rice de fictions des aventures semblables à celles de ses œuvres. Doyle, médecin dévoué et naïf, y aide son mentor Joseph Bell (qui a véritablement inspiré à Doyle le personnage de Holmes) dans des enquêtes qui le qualifieront plus tard à inventer Sherlock Holmes.

 

Comme pour « Les chiens de Baskerville » et « Une étude en rose », « Les yeux de la terreur » part d’une situation initiale existante (celle de « La Cycliste solitaire[8] ») pour lui inventer une nouvelle intrigue, laquelle ne fait écho que par quelques détails ou quelques transpositions métaphoriques à l’histoire de départ. Ce type de geste créatif permet de travailler avec les élèves sur les virtualités d’une narration. On pourra faire inventer d’autres variantes à partir de la situation initiale de la nouvelle, et pourquoi pas croiser les copies pour que chaque élève donne une rapide analyse littéraire des choix créatifs d’un.e autre élève (la caractérisation des personnages est-elle conforme à la nouvelle originale ? L’intrigue intègre-t-elle du suspense, de la curiosité, de la surprise ? Quel type de narrateur envisager dans cette version ?). On continuera ainsi à réviser activement les outils narratologiques nécessaires à l’analyse textuelle.

 

Enfin, pour s’en tenir stricto sensu à la critique policière, on peut envisager de construire un jeu d’énigmes à partir d’une nouvelle de Sherlock Holmes. Mieux vaut s’appuyer sur des nouvelles où les virtualités interprétatives restent ouvertes et propices à la création. Je recommande par exemple « Les Hêtres pourpres [9] » (« The Adventure of the Copper Beeches »traduits parfois « Les Hêtres rouges » ou « Les Hêtres d’or ») qui a le mérite d’être courte, de convoquer relativement peu de personnages et de contenir assez peu d’explications sur le passé et le devenir des personnages. L’assimilation des informations sera donc rapide et la trame narrative propice aux inventions.

 

Les plus audacieux.ses pourront aller jusqu’à construire un escape game complet à partir de l’univers d’une nouvelle (pour se former sur la question, on consultera avec profit le site internet du collectif S’Cape et l’ouvrage issu de ce collectif, S’capade pédagogique avec les jeux d’évasion [10]).

 

Pour une préparation un peu moins chronophage, il suffit de suivre ces quelques étapes :

 

D’abord, une lecture cursive du texte par les élèves s’impose. Elle peut être faite à la maison mais elle devra nécessairement être contrôlée en classe à l’aide de résumés, d’un visionnage de l’adaptation cinématographique ou de discussions sur l’intrigue, pour s’assurer que chaque élève en a une connaissance au moins relative.

 

L’enseignant.e cherchera les constituants de ses énigmes dans le texte, par exemple les lettres formant le nom du personnage qui sera désigné comme le.la véritable coupable. Pour « Les Hêtres rouges » par exemple, Alice Rucaslte n’aurait pas été libérée par son amant, M. Fowler, mais enlevée par cet amant et sa complice, la gouvernante Mme Toller. L’enjeu de l’activité sera donc de retrouver Alice pour la libérer et de résoudre ensuite l’enquête bâclée par Sherlock Holmes (la nouvelle mettant en scène de façon criante l’attention fluctuante de Holmes et son mépris envers ses clients lorsque ce sont de jeunes gouvernantes).

 

Une série d’énigmes sera conçue pour permettre aux élèves de retrouver dans la nouvelle, par exemple, chacune des lettres formant le nom du.de la coupable. Ces énigmes pourront être disséminées dans l’établissement ou simplement fournies dans la salle de classe, à des équipes conçues pour être toutes de niveau équivalent. L’expérience ne peut malheureusement gagner en épaisseur que si les élèves vivent une immersion relative dans l’univers du récit, ce qui implique au moins que l’enseignant.e ou un.e de ses collègues se procure, dans le cas des « Hêtres rouges », une robe bleu électrique et une perruque auburn, et qu’il.elle aille s’enfermer dans une pièce de l’établissement en attendant qu’on vienne le.la libérer. Un compte à rebours visible à tout moment par les élèves générera quant à lui les conditions de suspense nécessaires à une telle immersion.

 

Un.e enseignant.e plus pernicieux.se encore peut profiter de cette occasion pour construire une enquête en trois rounds successifs. Dans un premier temps, il s’agit de reconstituer le nom coupable et d’en avertir l’enseignant.e. Dans un second temps, l’enseignant.e (dans le rôle possible de Mme Toller ou M. Fowler) posera à toute la classe une série de questions sur les connaissances apprises en classe tout au long de l’année. C’est l’occasion pour les équipes plus lentes à résoudre la première phase d’énigmes de regagner des points et de rester dans la compétition. L’équipe gagnante aura le droit d’aller libérer Alice Rucastle.

 

Enfin un travail en classe, attribuant à chaque équipe une dernière série de points, cherchera à reconstituer la vérité cachée de la nouvelle. Pourquoi Mme Toller et M. Fowler voulaient-ils enlever Alice ? Pourquoi les Rucastle ont-ils cessé de vouloir protéger leur fille après l’intervention de Sherlock Holmes ? La combinatoire de faits étant beaucoup moins contraignante que dans le cas du Chien des Baskerville, la consigne produira des résultats sans doute plus rapides et plus variés.

 

Et, pour découvrir le bilan théorique de cette expérience,

Rendez-vous sur la dernière page de notre enquête... 

 

Pour citer cet article : 

Sarah Delale, "Comment enseigner la critique policière dans le secondaire ? Méthodes et pratiques à partir du Chien des Baskerville", IntercriPol - Revue de critique policière, "Grands dossiers : réouverture de l'affaire Baskerville (enquête policière et didactique)", N°002, Déc. 2020. URL : http://intercripol.org/fr/thematiques/critique-policiere/enseigner-la-critique-policiere-dans-le-secondaire-methodes-et-pratiques-a-partir-du-chien-des-baskerville/prolongements-litteraires-et-artistiques.html. Consulté le 5 février 2021.

 

Notes :  

[1] Bulletin officiel spécial n°1 du 22 janvier 2019. NOR : MENE1901575A, Arrêté du 17-1-2019 - J.O. du 20-1-2019, MENJ - DGESCO MAF 1, disponible en ligne (Programme – Présentation générale, objectifs).

[2] Sherlock, série citée, saison 2, épisode 2, « Les chiens de Baskerville [The Hounds of Baskerville] ».

[3] Ibid., saison 1, épisode 1, « Une étude en rose [A Study in Pink] ».

[4] À propos de ce pilote non diffusé, voir IMDb, Internet Movie Database, base de données collaborative répertoriant des films, des séries et des jeux vidéo sous la propriété d’Amazon, 1990-, « Sherlock (2010-2017) – Unaired Pilot », en ligne.

[5] Les Aventures de Sherlock Holmes [The Adventures of Sherlock Holmes], série télévisée écrite par John Hawkesworth et Alan Plater, réalisée par Paul Annett et produite par Michael Cox, 1984-1985, saison 1, épisode 4 : « Le Cycliste Solitaire [The Solitary Cyclist] », 1984.

[6] Les Mystères du véritable Sherlock Holmes [Murder Rooms: Mysteries of the Real Sherlock Holmes], série télévisée, 2000-2001, saison 2, épisode 1 : « Les yeux de la terreur [The Patient’s Eyes] », écrit par David Pirie, réalisé par Tim Fywell, 2001.

[7] Sur ce concept, voir Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Seuil, coll. Poétique, 2011.

[8] Arthur Conan Doyle, Le Retour de Sherlock Holmes, trad. Jeanne de Polignac et Gaston Simoes de Fonseca, Paris, Archipoche, 2019, « La Cycliste solitaire ».

[9] Arthur Conan Doyle, Les Aventures de Sherlock Holmes, trad. Jeanne de Polignac et Gaston Simoes de Fonseca, Paris, Archipoche, 2019 : « Les Hêtres pourpres », p. 361-394. Cette nouvelle a été adaptée dans Les Aventures de Sherlock Holmes [The Adventures of Sherlock Holmes], série télévisée citée, 1984-1985, saison 1, épisode 8 : « Les Hêtres rouges [The Copper Beeches] », 1984.

[10] Site du collectif S’cape : https://scape.enepe.fr. Mélanie Fenaert, Patrice Nadam et Anne Petit, S’capade pédagogique avec les jeux d’évasion. Apprendre grâce aux escape games, Paris, Ellipses, 2019.

Par Sarah Delale

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