Le Déroulé d'une séquence : exercices et potentialités pratiques

 

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Un des enjeux du français pour les élèves de seconde consiste à réviser systématiquement les outils de la narratologie classique dont a hérité l’école, et avec lesquels le collège les a familiarisés. Ces outils doivent être maîtrisés en classe de première pour permettre une bonne pratique du commentaire et de la dissertation au baccalauréat. Dans cette visée, les manuels actuels de seconde générale et technologique proposent pour le roman et le récit les fiches méthodologiques suivantes (le recensement concerne les manuels de la réforme 2019, mais ces notions étaient bien sûr déjà traitées dans les manuels des décennies précédentes) : le narrateur et la situation d’énonciation, la focalisation, les discours rapportés, les rythmes (ou temps) du récit, la chronologie et la construction du récit, la construction de l’intrigue, l’exposition et le dénouement, incipit et excipit, la description, le portrait, le personnage de roman.

 

Pour rendre ces révisions doublement intéressantes, on les mettra directement au service de l’enquête policière. Par exemple pour Le Chien des Baskerville, les notions de suspense et de surprise sont particulièrement propices à révision dans les chapitres 8 à 11. Le dédoublement du narrateur Watson y favorise la conduite du suspense. Or l’identification surprise d’un suspect inconnu à Holmes lui-même ne peut que disqualifier ce double narrateur et placer Holmes en position de supériorité interprétative (la surprise, en même temps qu’elle impressionne le lecteur, augmente l’autorité de cet enquêteur qui a lui-même berné par son déguisement le lectorat et le narrateur).

 

De même, la construction et la caractérisation des personnages révèlent la façon dont le texte pousse le public à l’adhésion et à la méfiance à l’égard de certains personnages, et l’entraîne dans des jugements basés sur des clichés ou sur des apparences (c’est ce que Pierre Bayard appelle du délit de faciès, comme il l’a démontré à propos des personnages de Stapleton et du chien[1]).

 

Enfin, l’étude des différents types de discours rapportés offre l’occasion de différencier, dans certains passages, les faits incontestables des témoignages contestables (comme c’est le cas au chapitre 15 lorsque Holmes rapporte ses conversations avec Beryl Stapleton).

 

De la sorte les élèves seront prémunis contre les principaux pièges de l’enquête. En outre, non seulement ils intègreront passivement ces outils d’analyse, mais ils en feront en plus un usage éthique dans leur entreprise d’acquittement et d’inculpation des personnages. Cet usage a beaucoup plus de chance d’intégrer durablement la mémoire à long terme parce qu’il ne mobilise pas uniquement la mémoire sémantique (celle qui concerne les concepts et les connaissances encyclopédiques). Il s’étend à la mémoire épisodique qui emmagasine les expériences vécues. Or il est clair que dans les processus d’apprentissage, les savoirs abstraits ont plus de difficulté à passer de la mémoire de travail à la mémoire à long terme, tandis que les événements vécus codent les informations retenues avec une singularité supérieure et une charge émotionnelle bien plus importante, ce qui favorise leur conservation à long terme.

 

La séquence menée sur le Chien des Baskerville a été structurée en six exercices successifs, sous forme de questionnaires. Les quatre premiers exercices portent sur les quatre sections textuelles découpées dans l’œuvre (chapitres 1 à 4, 5 à 7, 8 à 11, 12 à 15). Les deux derniers invitent à concevoir une ou des solutions alternatives, puis à vérifier la validité des solutions proposées par les autres élèves, à en rectifier les incohérences ou à en compléter les manques.

 

Menée à distance dans les conditions très particulières du premier confinement (manque d’outils pour l’enseignement à distance, mise en place lente et complexe des classes virtuelles, communication avec les élèves souvent réduite à un échange de courriels via le logiciel de vie scolaire du lycée), cette séquence expérimentale doit être considérée avec bienveillance et pourrait être améliorée de bien des façons. Elle est néanmoins facilement adaptable à différents contextes d’apprentissage.

 

Je fournis les questionnaires tels qu’ils ont été proposés, en commentant en italique l’utilité de chaque question vis-à-vis de l’enquête critique. Pour une remobilisation plus aisée de la séquence, des corrigés indicatifs pour ces exercices sont également téléchargeables ici. Là encore, il s’agit d’une proposition à adapter librement, à corriger et à compléter de toute idée fructueuse.

 

 Les questionnaires et leurs objectifs

 

 

  • Exercice 1

 

A- LECTURE : lisez les chapitres 1 à 4 du Chien des Baskerville de Arthur Conan Doyle. Si vous préférez, vous pouvez écouter une version audio du livre aux liens suivants : chapitres 1 et 2chapitre 3 et 4.

 

B - Qu’avez-vous pensé de ces chapitres ? Donnez votre avis en deux à quatre phrases.

 

L’entrée dans un récit et dans le monde fictionnel qu’il postule est une opération difficile, en ce qu’elle réclame beaucoup d’énergie. L’occasion de donner un avis sur l’incipit, que ce soit pour signaler son enthousiasme ou pour décrire son ennui, permet de relâcher une partie de la pression liée à l’effort de lecture et au surmoi qu’implique toute lecture scolaire. En outre, les élèves ont tendance à indiquer spontanément ici les clés génériques de lecture qu’ils ont identifiées et utilisées, ce qui permet de préparer les questions suivantes.

 

C - Lisez la page du manuel Belin Escales Français 2nde intitulée « Incipit et Explicit » (manuel publié sous la direction de Valérie Cabessa, Paris, Belin, 2019, p. 466). Concentrez-vous sur la partie consacrée à l’« incipit » (mot qui désigne le début d’un récit) puis répondez aux questions suivantes :

 

  • Quel type d’incipit a-t-on dans le chapitre 1 du Chien des Baskerville : statique, progressif, dynamique ou suspensif ? Justifiez votre réponse en une à trois phrases.

 

Cette question permet un petit rappel sur les incipit « in medias res » et permet de réfléchir aux stratégies du texte pour présenter les personnages : en l’occurrence, Holmes et Watson sont présentés à travers leurs déductions sur un troisième personnage inconnu. Leur conversation suffit à suggérer que Holmes est une célébrité (dans l’univers de la fiction comme auprès du lectorat) et qu’il représente l’excellence en matière d’enquêteurs privés ; et qu’à l’inverse Watson est essentiellement son faire-valoir.

 

  • Dans les chapitres 1 et 2, dans quel genre de roman est-on : un récit de voyage, un conte merveilleux, un récit fantastique, un roman d’aventure, un roman d’horreur, un roman d’amour, un roman policier, un roman d’apprentissage, un essai ? Comment le sait-on ? Vous pouvez vous aider en observant les registres utilisés ; plusieurs réponses différentes sont possibles. Justifiez votre (vos) choix en une à trois phrases.

 

En décryptant les signaux de genres du roman dans ces deux premiers chapitres, on place les élèves face à la contradiction fondamentale du Chien des Baskerville : tout au long du récit, l’hypothèse générique du roman fantastique entrera en concurrence avec celle du roman policier réaliste. Cette concurrence générique a un impact très fort sur les virtualités du dénouement : le fantastique va-t-il gagner sur le réalisme, ou sera-ce l’inverse ? Est-il vraiment envisageable qu’une solution marie les deux genres ?

 

D - Lisez la page du manuel Belin Escales Français 2nde intitulée « Le personnage de roman » (manuel cité, p. 464). Répondez ensuite aux questions suivantes :

 

  • Dans le chapitre 1, que nous apprend la discussion de Watson et Holmes sur le personnage de Mortimer ? Et que nous apprend-elle sur les personnages de Watson et Holmes ? Faites une description de l’identité et de la personnalité de ces trois personnages en une à deux phrases pour chacun.

 

Cette étude des personnages sensibilisera les élèves au caractère subjectif et biaisé des portraits de personnages. Elle révèlera facilement que les personnages ne trouvent leur identité et leur fonction que les uns par rapport aux autres : Watson n’est que le faire-valoir de Holmes, dont il fait ressortir l’intelligence, Mortimer n’est qu’un représentant de la lande, porte-parole d’outre-tombe de Sir Charles et allié putatif de Sir Henry. Holmes, quant à lui, est moins le représentant d’un caractère réel qu’un principe de résolution d’enquête. En analysant la construction des personnages (celle de Mortimer autour de sa canne, notamment), on pourra travailler sur l’artificialité fondamentale des personnages de roman (qui sont pour la plupart de pures stratégies textuelles), et leur écart avec les personnes réelles.

 

  • Quelle fonction symbolique incarne Sherlock Holmes ? Quelle est sa vision du monde ou son originalité ? Répondez en une à trois phrases.

 

Les caractéristiques du personnage de Holmes en font le symbole de positivisme. Elles permettront un point d’histoire (et d’histoire littéraire) sur l’ère industrielle, l’émergence de la science moderne et l’impact de cette dernière sur les champs de la connaissance. Elles placent Holmes du côté des signaux génériques du réalisme (on pourra montrer dans la suite du texte que Watson est beaucoup plus sensible aux signaux fantastiques). En ce sens, Holmes et Watson représentent dans leurs sensibilités respectives le conflit générique entre fantastique et réalisme, dont on a déjà signalé l’importance pour la production de solutions alternatives.

 

  • Faites la liste de tous les personnages des chapitres 1 à 4. Répartissez ces personnages dans un tableau en adjuvants et opposants (avec un point d’interrogation derrière leur nom si vous hésitez pour leur place). Voir ci-dessous un modèle de tableau qui peut vous servir pour cet exercice et les suivants :

 

Personnages

À Londres

Adjuvants (personnages positifs, personnages qui aident le(s) héros)

- …

- …

Opposants (personnages négatifs, personnages qui viennent s’opposer au(x) héros)

- …

Personnages

À la campagne, autour du manoir des Baskerville

Adjuvants (personnages positifs)

- …

- …

Opposants (personnages négatifs)

- …

 

Ce tableau, qui sera complété à chaque exercice, permettra aux élèves de garder en mémoire leurs jugements sur les différents personnages. Le Chien des Baskerville se prête bien à une séparation géographique des personnages : la plupart de ceux présents à Londres réapparaîtront sur la lande sans qu’il soit d’abord possible d’identifier quels doublons cachent le même personnage (le jeune Cartwright et l’enfant qui nourrit un inconnu sur la lande, cet inconnu et Sherlock Holmes, le fileur de Londres et Stapleton, l’autrice de la lettre de mise en garde et Mme Stapleton…).

 

Exercice 2

 

A - LECTURE : lisez les chapitres 5 à 7 du Chien des Baskerville de Arthur Conan Doyle. Si vous préférez, vous pouvez écouter une version audio du livre aux liens suivants : chapitres 5 et 6chapitre 7 (s’interrompre à 27 minutes 46 secondes).

 

B - À l’aide de la page du manuel Belin Escales Français 2nde intitulée « Le personnage de roman » (manuel cité, p. 464), répondez à la question suivante :

 

Ajoutez les nouveaux personnages dans votre tableau des personnages commencé pour l’exercice 1. Y a-t-il des personnages qui ont selon vous changé de camp entre le chapitre 4 et le chapitre 7 ? De qui vous méfiez-vous ? Répondez en une à trois phrases.

 

La question permettra aux élèves de garder une trace de leur coopération textuelle en accord avec un endroit où le texte les trompe : Barrymore semble particulièrement louche dans ces chapitres, à la fois par ses actes et parce qu’il possède la même barbe que l’inconnu ayant semé Holmes et Watson à Londres.

 

C - Lisez la page du manuel Le Livre Scolaire Français 2nde intitulée « La description et le portrait » (en version numérique ou papier ; manuel publié sous la coordination de Stanisław Eon du Val et Pierre-Michel Sailhan, Lyon, lelivrescolaire.fr, 2019, p. 520) puis répondez aux questions suivantes :

 

  • Dans le chapitre 7, comment sont décrits les nouveaux personnages ? Par leurs vêtements, leurs habitudes, leurs traits de caractère ? Quelle est la fonction narrative de ces détails ? Répondez en deux à quatre phrases.

 

On poursuit avec cette question l’étude de la construction des personnages. Il n’est rien dit explicitement du caractère des Stapleton. En revanche, les actions et les paroles de M. Stapleton (réflexions sur la mort des chevaux dans le bourbier, chasse aux papillons) dépeignent à la fois son cynisme et son ridicule. C’est la crainte que Mme Stapleton semble éprouver envers son frère qui jette une lumière inquiétante sur ce dernier. Là encore les deux personnages fonctionnent en réseau, ils ne trouvent leur identité que l’un par rapport à l’autre. Le corrigé donnera l’occasion d’insister sur les délits de faciès auxquels les narrateur.rice.s s’adonnent souvent, et qui influencent considérablement le lectorat.

 

  • Au chapitre 6, on trouve une description du manoir des Baskerville. Dans quel registre se situe-t-on ? Quelle ambiance cela crée-t-il à la lecture ? Donc quelle est la fonction symbolique de cette description ? Répondez en deux à quatre phrases.

 

Après l’étude du portrait, on étudie la description. En même temps qu’on pourra réviser les caractéristiques de ce mode d’écriture (recours à des tiroirs verbaux spécifiques comme l’imparfait, à des registres qui orientent l’interprétation comme les registres lyriques, pathétiques, burlesques ou fantastiques), on insistera sur la construction du suspense à travers cette description du manoir : prédominance dans les adjectifs de la mélancolie et de l’obscurité, du vieillissement et de la perte (qui relèvent du registre élégiaque), mise en relation implicite de ces caractéristiques avec le registre fantastique (le paysage semblant personnifier une force surnaturelle et malveillante). Le Chien des Baskerville est un récit d’enquête particulièrement intéressant parce qu’il allie une intrigue à suspense (qui invite à des pronostics sur la suite : y aura-t-il d’autres morts avant l’arrestation du.de la.des coupable.s ?) et une mise en intrigue par la curiosité (qui invite à des diagnostics sur le passé : y a-t-il eu meurtre et si tel est le cas, qui a tué Sir Charles ?)[2]. C’est le moment d’étudier comment la description fait ressentir ce suspense au lectorat et comment elle augmente notre peur des événements à venir et notre désir de connaître le dénouement.

 

Cette question peut être aussi le prétexte d’un point d’histoire littéraire sur le roman gothique, ses traits génériques et stylistiques spécifiques qui sont tous activés dans cette partie du récit. Elle permettra de présenter les origines du genre fantastique et ses avatars antérieurs (le roman gothique restant largement inconnu du lectorat français alors qu’il a eu un impact considérable sur la littérature anglaise, et par conséquent sur les productions contemporaines, tous médias confondus, en récits dystopiques et en fantasy).

 

D - Lisez la page du manuel Le Livre Scolaire Français 2nde intitulée « Les types de focalisation » (en version numérique ou papier, manuel cité, p. 512) puis répondez à la question suivante :

 

Dans les chapitres 5 à 7, quel est le type de focalisation ? À travers quel.s personnage.s et quel.s point.s de vue suivons-nous l’histoire ? Pourquoi cela crée-t-il du suspense ? Répondez en deux à quatre phrases.

 

La focalisation interne qui suit le point de vue de Watson participe elle aussi à construire le suspense. Le chapitre 1 avait montré au lecteur à quel point Watson est un enquêteur moins perspicace que Holmes. Ce point de vue moins « performant » sur les faits racontés est donc légèrement angoissant. La peur que le personnage narrateur ne soit pas à la hauteur de la situation, la tentation de croire qu’à sa place, Holmes aurait déjà résolu l’enquête et aboli l’atmosphère angoissante du récit sont d’efficaces stratégies pour pousser le public à continuer sa lecture.

 

Exercice 3

 

A - LECTURE : lisez les chapitres 8 à 11 du Chien des Baskerville de Arthur Conan Doyle. Si vous préférez, vous pouvez écouter une version audio du livre aux liens suivants : chapitre 8 (reprendre à 27 minutes 46 secondes), chapitres 9 et 10chapitre 11 (s’interrompre à 26 minutes 30 secondes).

 

B - Qu’avez-vous pensé de ces chapitres ? Donnez votre avis en deux à quatre phrases.

 

Cette question est l’occasion de faire un rapport de lecture sur les surprises de la coopération interprétative, notamment concernant Barrymore et l’inconnu de la lande, et d’indiquer à quel point l’élève s’est perdu dans la forêt des indices. Elle permet aussi aux élèves de dire quelques mots de leur ressenti face à l’intrigue et à la tension narrative (le suspense, la curiosité et la surprise étant tous trois mobilisés dans ces chapitres).

 

C - À l’aide de la page du manuel Belin Escales Français 2nde intitulée « Le personnage de roman » (manuel cité, p. 464), répondez aux questions suivantes :

 

Ajoutez les nouveaux personnages dans votre tableau des personnages commencé pour l’exercice 1. Faut-il changer certains personnages de place ? Lesquels à votre avis ? Qui selon vous pourrait être la personne qui avait suivi Henry Baskerville à Londres et que Watson et Holmes avaient poursuivie en vain ? Répondez en deux à trois phrases.

 

Les élèves entérineront à ce point que le texte les a bernés en les entraînant dans une voie interprétative qu’il a ensuite invalidée : les Barrymore, bien que coupables d’aider la cavale d’un forçat, ressortent plutôt positifs de ces chapitres et on a tendance à les disculper totalement dans la mort de Sir Charles. Les Stapleton, en revanche, continuent d’être caractérisés comme très inquiétants. Viennent s’ajouter au réseau des personnages d’autres figures inquiétantes : Laura Lyons et un inconnu qui se cache sur la lande. Les deux dernières phrases du chapitre 11 nous apprennent en revanche que le tableau des personnages contient certainement plus de doublons qu’il n’en a l’air. Holmes se confond avec l’inconnu de la lande, le jeune garçon qui le nourrit sera identifié au chapitre 12 à Cartwright…

 

Ces déplacements au sein du tableau habitueront les élèves à ne pas s’arrêter au rôle apparent des personnages et ils les aideront à soupçonner plus facilement tous les personnages.

 

D - Lisez la page du manuel Le Livre Scolaire Français 2nde intitulée « La situation d’énonciation » (en version numérique ou papier, manuel cité, p. 510) puis répondez à la question suivante :

 

Indiquez quel est le type de récit auxquels recourent successivement les chapitres 8 à 11 (énoncé ancré ou non, au sein d’une lettre, d’entrées de journal, d’un simple récit à la 1e personne, dialogues…). Qu’est-ce que ces variations apportent au suspense ? Répondez en une à trois phrases.

 

Ici, on discutera avec profit de la manière dont le mode d’écriture et le dédoublement du narrateur Watson favorisent la conduite du suspense (je renvoie à ce que j’en disais plus haut, lors du résumé du roman).

 

E - Lisez la page du manuel Le Livre Scolaire Français 2nde intitulée « La construction du récit » (en version numérique ou papier, manuel cité, p. 516) puis répondez à la question suivante :

 

Dans les chapitres 9 à 11, identifiez au moins une ellipse, un sommaire, une pause, une scène, un procédé de suspense et un procédé de surprise. Indiquez simplement de quel moment il s’agit et dans quel chapitre ce moment se situe.

 

 La révision de ces notions pourra seule amener une réflexion sur les faits qu’il est permis d’inventer dans les solutions alternatives. Elle permettra l’exploitation des ellipses et des sommaires, par opposition aux scènes qui sont largement « verrouillées » à la modification. On révisera une dernière fois la notion de suspense et on s’étendra plus longuement sur celle de surprise, puisque l’identification de Holmes, à la fin du chapitre 11, constitue la surprise la plus magistrale du livre. C’est l’occasion de faire découvrir aux élèves ce qu’est l’ironie dramatique : cela fait deux chapitres que Watson nous parle d’un homme qui n’est autre que Holmes ; au chapitre 10, il a donc décrit à Holmes par lettre sa rencontre avec lui, ajoutant que ce nouveau suspect était sans doute la clé et l’origine du mystère. Ce procédé invalide définitivement Watson comme narrateur au profit de Holmes, qui prendra la direction des actions et de l’interprétation à partir du chapitre 12. Dès ce moment, la piste fantastique disparaît définitivement au profit de l’explication rationnelle.

 

 

Exercice 4

 

A - AVANT LA LECTURE, prenez le temps de construire votre propre hypothèse à propos du mystère du chien des Baskerville. Les chapitres qui viennent fournissent la révélation de la.du.des coupable.s, la résolution de l’intrigue et la fin de l’histoire. Si vous avez une hypothèse, c’est le moment de la donner ! Dites qui est responsable, comment et pourquoi, en quelques lignes. Pour cela, aidez-vous de votre tableau des personnages. Le.s coupable.s se trouve.nt nécessairement parmi les noms qui y figurent.

 

Voici quelques questions qui peuvent vous guider dans la formulation de votre hypothèse : le chien est-il réel ? Si oui, quelqu’un le commande-t-il, et qui ? Qui a suivi Henry Baskerville à Londres et pourquoi ? Qui a envoyé la lettre anonyme à Henry Baskerville lorsqu’il était à Londres ? Pour quel motif Charles Baskerville a-t-il été assassiné (quel est le mobile du.de la ou des assassin.s) ? Qui est désormais visé par le.la ou les assassin.s ?

 

Il est très important de faire formuler aux élèves leurs hypothèses favorites avant qu’ils connaissent le dénouement du livre, pour toutes les raisons que nous avons exposées en première partie de cet article – et quand bien même certains faits indéniables, mentionnés dans le dénouement, leur manquent encore. Cette première réflexion leur garantira une certaine indépendance vis-à-vis de la solution du livre : elle fait des élèves des rédacteur.rice.s potentiel.le.s et concurrent.e.s de l’histoire, et non ses simples récepteur.rice.s passif.ve.s.

 

B - LECTURE : lisez les chapitres 12 à 15 du Chien des Baskerville de Arthur Conan Doyle. Si vous préférez, vous pouvez écouter une version audio du livre aux liens suivants : chapitre 12 (reprendre à 26 minutes 30 secondes), chapitres 13 à 15.

 

C - Lisez la page du manuel Le Livre Scolaire Français 2nde intitulée « Les discours rapportés » (en version numérique ou papier, manuel cité, p. 514) puis répondez à la question suivante :

 

Trouvez un exemple de chaque type de discours rapporté (direct, indirect, indirect libre) dans le chapitre 15. En quoi peut-on penser que ces discours sont la vérité ? Mais est-on sûr.e.s qu’ils sont vraiment fiables ? Pourquoi ? Répondez en quelques phrases.

 

On notera que parmi les manuels de français destinés à la classe de seconde, seul le manuel Belin fait mention du discours narrativisé comme quatrième type de discours rapporté. Il faudra y renvoyer si on souhaite étudier ce type de discours. Dans notre cas, la limitation aux trois premiers types de discours est suffisante pour identifier le caractère contestable des paroles de Beryl. En corrigeant cette question, on pourra distinguer dans le discours de Holmes les faits étayés par des preuves tangibles (l’identité des Vandeleur par exemple) et ceux qui s’appuient uniquement sur des témoignages.

 

D - Lisez la page la page du manuel Belin Escales Français 2nde intitulée « Incipit et Explicit » et déjà utilisée dans l’exercice 1 (manuel cité, p. 466), en vous concentrant cette fois sur la partie consacrée à l’excipit (c’est-à-dire la fin d’un récit). Répondez aux questions suivantes :

 

  • Résumez comment chaque intrigue et sous-intrigue se résout.

 

  • Que pensez-vous de la solution proposée dans les chapitres 14-15 au mystère du chien des Baskerville ? Vous a-t-elle convaincu.e, intéressé.e, laissé.e sceptique ? Donnez votre avis en deux à six phrases.

 

Le résumé de l’intrigue principale (le meurtre de Sir Charles) et des deux sous-intrigues (la cavale de Selden et la liaison entre Stapleton et Laura Lyons) fera l’objet d’un corrigé minutieux. C’est lui qui permettra à la classe d’avoir une vue d’ensemble sur l’histoire et de resituer chacun des faits indéniables en son sein. Ce résumé correspond à la reconfiguration du sujet (l’ordre dans lequel les faits ont été exposés au lecteur, autrement dit la séquence narrative) dans l’ordre chronologique et logique (la fabula ou séquence événementielle).

 

Puisque les élèves ont formulé certaines de leurs prévisions en début d’exercice avant la découverte du dénouement, leur avis sur ce dénouement sera d’autant plus tranché et impliqué. Cette demande d’avis personnel reviendra d’ailleurs au début de l’exercice 5 pour la solution proposée par Pierre Bayard. Là encore, l’émergence d’une opinion personnelle sur les choix du livre et de l’auteur.rice renforcera la créativité des lecteur.rice.s.

 

Exercice 5 : travail d’écriture

 

 

 






  • Pierre Bayard, dans un livre intitulé L’Affaire du chien des Baskerville, propose une solution alternative au mystère du chien des Baskerville (résumé absolument confidentiel, à télécharger pour ne pas spoiler ceux qui n'auraient pas encore lu l'ouvrage de notre président).

     

 

  •  Que pensez-vous de cette solution ? Laquelle vous paraît la plus satisfaisante : celle-ci ou celle proposée par Sherlock Holmes dans le chapitre 15 ? Pourquoi ?

 

En confrontant une première solution alternative complète à celle du livre, les élèves commencent à envisager l’idée que la version du livre n’est pas une vérité exclusive. Invités à se prononcer sur les mérites de chacune, ils feront spontanément appel aux critères de jugement qui fondent la critique policière : économie, élégance, vraisemblance, cohérence interne de chaque version, cohésion avec les codes génériques, plaisir procuré par chaque théorie. C’est une première étape nécessaire pour les amener à l’idée que leurs prévisions, exposées dans la première question de l’exercice 4, peuvent devenir autre chose que des interprétations invalides ou erronées.

Dans une enquête collective sur un ouvrage qui n’aurait pas profité du regard incisif de Pierre Bayard, l’enseignant.e fournira ici sa version alternative ou, s’il.elle en a conçu plusieurs, la version la plus aboutie et la plus stimulante (mais la moins bizarre).

 

  •  Auriez-vous une autre solution à proposer ? Aidez-vous du tableau des personnages (essayez de voir qui pourrait être en même temps son propre personnage et le ou la vrai.e coupable), du résumé de la solution de Sherlock Holmes et de la liste des faits indéniables pour rendre votre solution alternative crédible et cohérente avec les événements du livre et avec le caractère des différents personnages.

 

Avec cette question commence le travail de la critique policière au sens propre du terme. Ce travail suppose de rentabiliser tous les exercices pratiqués jusqu’alors sur le texte : tableau des personnages complétés et corrigés, hypothèses émises à différents stades du texte sur différentes parties de l’intrigue ou différents personnages, détection des pièges et des manipulations internes à la narration (personnages discrédités injustement sur des critères biaisés, discours rapportés qui pourraient être contestables, signaux de suspense et de genre dont la signification pourrait être différente…).

 

  •  Lorsque vous aurez conçu votre solution ou vos pistes de solution, remplissez le tableau suivant :

 

PRÉNOM NOM :

SOLUTION ALTERNATIVE AU CHIEN DES BASKERVILLE

Véritable(s) coupable(s) :

Personne(s) victime(s) ou visée(s) par le/la/les coupable(s) :

Nature du crime / du délit / de l’expérience imaginé(e) par le/la/les coupable(s) :

Présentez votre théorie. Réexpliquez toute l’histoire telle qu’elle s’est déroulée selon vous, dans l’ordre chronologique, en commençant au moins à partir du moment de la mort de Charles Baskerville, et en allant au moins jusqu’au soir où Holmes a abattu le chien. N’oubliez pas d’inclure des explications concernant la sous-intrigue concernant Selden et la sous-intrigue concernant Laura Lyons (même si ce sont les mêmes que les explications fournies dans le livre : vous pouvez alors les résumer rapidement).

Si vous n’avez pas de théorie complète, vous pouvez aussi simplement suggérer des pistes d’inspiration pour des solutions alternatives.

 

On veillera à ne pas hâter la réalisation de cet exercice. En général un premier rendu est nécessaire, dans lequel les élèves mentionnent de simples pistes d’explication. L’intervention de l’enseignant.e (en tant qu’expert.e ès détails du livre) permettra de soulever les problèmes propres à ces pistes d’explication et de suggérer des manières de les résoudre, après quoi les élèves seront plus à même d’étoffer leurs théories. Un ou plusieurs allers-retours entre invention et vérifications, liste des faits contraignants et tableau des personnages, garantit une meilleure cohérence narrative et une multiplication des solutions possibles.

 

Exercice 6 : travail de relecture et de réécriture

 

Cet exercice se prête particulièrement bien à un travail en petits groupes (quatre à six personnes). On fournit à chaque groupe une solution différente, en privilégiant les hypothèses les plus abouties qui aient été proposées par les élèves. En cas de solutions très proches voire identiques, on peut faire collaborer ensemble leurs auteur.rice.s. Les groupes se plieront ensuite à la consigne suivante : 

 

A - Lisez ensemble la solution qui vous a été fournie.

 

B - Discutez de sa validité et essayez de trouver tout ce qui pose problème dedans.

 

C - Aidez-vous du tableau des personnages, du résumé de la solution de Sherlock Holmes et de la liste des faits indéniables pour rendre la solution alternative crédible et cohérente avec les événements du livre et avec le caractère des différents personnages.

 

Ce travail collectif peut faire ensuite l’objet d’un exposé rapide devant la classe, présentant l’hypothèse initiale, les problèmes qu’elle posait et la manière dont ils ont été résolus, ou bien racontant la solution corrigée et complétée. Elle peut aussi faire l’objet d’une rédaction écrite. On pourrait également imaginer des présentations orales appuyées sur des illustrations des élèves ou sur une bande sonore, selon les talents de chacun. Les limitations en termes pédagogiques tiennent surtout au temps que l’on souhaite consacrer à la séquence. Cependant, après le temps passé à la lecture et à l’analyse du texte lui-même, on aurait tort de « brader » cette partie de la séquence qui est la plus susceptible de marquer les élèves, étant donnée leur implication fortement active dans les processus d’apprentissage.

 

Annexes aux exercices 5 et 6 :

Proposition de corrigé à télécharger 

 

- Tableau complet des personnages, classés en adjuvants et opposants d'après la solution de Sherlock Holmes, mais sans supprimer les doublons

 

- Résumé de la solution proposée par Sherlock Holmes dans le livre au chapitre 15

 

- Liste des faits indéniables.

 

- Cartographie des lieux du crime. 

 

 

Pour découvrir les solutions découvertes par les élèvesles prolongements possibles de la séquence et le bilan de l'expérience,

Rendez-vous sur les pages suivantes de notre enquête. 

 

 

 

Pour citer cet article : 

Sarah Delale, "Comment enseigner la critique policière dans le secondaire ? méthodes et pratiques à partir du Chien des Baskerville", Intercripol - Revue de critique policière, "Grands dossiers : réouverture de l'affaire Baskerville (enquête policière et didactique", N°002, Déc. 2020. URL :http://intercripol.org/fr/thematiques/critique-policiere/enseigner-la-critique-policiere-dans-le-secondaire-methodes-et-pratiques-a-partir-du-chien-des-baskerville/deroulement-complet-d-une-sequence.html. Consulté le 5 Février 2021.

Illustration :

Carte des lieux du crime, disponible sur le site de l'Université Lyon 2, où elle est précisément commentée. URL : https://sites.univ-lyon2.fr/lettres/lire-ensemble/an2001/pages01/philippe/lieux.html

Couverture de l'édition de poche de L'Affaire du chien des Baskerville de Pierre Bayard (éd. de Minuit, 2008)

Affiche publicitaire pour la bande dessinée Dans la tête de Sherlock Holmes, Ankama, 2019.

 Notes :

[1] Pierre Bayard, L’Affaire du chien des Baskervilleop. cit.

[2] Au sujet de la mise en intrigue par le suspense et par la curiosité, voir Raphaël Baroni, La Tension narrative : suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, coll. Poétique, 2007 et id.Les Rouages de l’intrigue, op. cit.

Par Sarah Delale

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