Nouvelle contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary : dans l'ombre de Beaumarchais

 

« J’ai lu aussi les œuvres de Beaumarchais,

c’est là qu’il faut trouver des idées neuves. » [1]

 

 

Dans sa correspondance, Flaubert insiste à plusieurs reprises [2] sur l'effet singulier que produit sur lui l'écriture de la scène d'empoisonnement d'Emma :

  

« Quand j’écrivais l’empoisonnement de Madame Bovary j’avais si bien le goût d'arsenic dans la bouche j'étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup – deux indigestions réelles car j'ai vomi tout mon dîner. » [3] 

 

Dans un retournement très moderne, c'est la fiction qui agit directement sur le réel : écrire l'empoisonnement d'un personnage revient à en faire vivre à l'auteur ses symptômes. Est-il dès lors possible de contester un dénouement qui coûterait presque la vie à son auteur ? Au risque de faire se retourner le maître de Croisset dans sa tombe, Pierre Bayard pense que oui et ose suggérer, non sans provocation : « Est-il exclu qu’Emma Bovary ait été assassinée ? » [4]

 

Mais Pierre Bayard n’est ni le premier ni le seul à remettre en question la version officielle proposée par Flaubert : dans les années 30 déjà, une facétieuse Odette Pannetier faisait par exemple de l’usurier Lheureux l’assassin d’Emma [5]. Plus récemment, Philippe Doumenc, dans son roman policier Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary [6], ou la critique Françoise Gaillard ont eux aussi décidé de privilégier la piste criminelle [7]. Mais c’est à Sylvie Triaire, éminente spécialiste de Flaubert, que l’on doit la plus récente réouverture de l'enquête : dans une démonstration critique aussi brillante que judicieuse, elle déclare coupable du meurtre d’Emma l’insoupçonnable Binet [8].

 

Cet article s’inscrit dans la lignée d’une telle critique policière en montrant d’abord que la béance qu’ouvre la mort d’Emma proposée par Flaubert est le lieu par excellence d’un réinvestissement fictionnel et critique permanent des lecteurs qui, dès la parution de l'œuvre, remettent en cause le dénouement du suicide. Il s'agira ensuite de contribuer à notre tour à ce réinvestissement critique en rouvrant une nouvelle fois l’enquête afin d’innocenter Larivière ou Binet et de proposer un nouveau coupable qui a pour le moment échappé aussi bien à Philippe Doumenc qu’à Sylvie Triaire. Une lecture minutieuse du texte de Flaubert et de ses non-dits nous permettra de dresser le profil psychologique de ce nouveau coupable, de révéler le mobile et le modus operandi du crime. Partant, nous tirerons les conclusions d'une telle opération de critique policière en nous demandant dans quelle mesure accuser un nouveau personnage du meurtre d'Emma permet de renouveler l'interprétation de Madame Bovary.

 

Le suicide d'Emma : une mort trop réaliste ?

 

En romancier réaliste du XIXe siècle, Flaubert a travaillé à rendre la mort d'Emma la plus vraisemblable possible : on sait qu'il s'est documenté sur les empoisonnements à l'arsenicqu'il «a su mettre à profit sa documentation médicale» et «a fait preuve d’une grande précision dans sa description de l’empoisonnement» [9], même si un examen plus attentif de l'agonie d'Emma confronté « à la lecture des traités médicaux de l’époque » montre «qu’il a également dénaturé les symptômes, quand il ne les a pas quelquefois omis ou inventés.» [10]

 

Ce souci de vraisemblance propre à l'écriture réaliste atteste donc la difficulté du romancier à faire gober – comme Emma ingère le poison – au lecteur ce dénouement à une époque où, comme le rappelle encore Eric Hollingsworth Deudon, « une telle substance était assez délicate à se procurer » [11], car les autorités sanitaires en avaient fortement contrôlé l'usage et la vente : « [o]n est donc en droit de se demander si Homais pouvait légalement avoir cet arsenic en sa possession, et on ne peut qu’être intrigué par cette question, d’autant plus qu’il nous est présenté comme n’étant qu’un pharmacien de campagne de deuxième classe. » [12]

 

Quoiqu’ait ainsi déclaré Flaubert dans sa correspondance, le dénouement qu’il choisit de donner à sa fiction ne va pas de soi et semble comme d’emblée voué au soupçon. Une autre preuve réside d'ailleurs dans la surmotivation même de cet empoisonnement, par l'inclusion dans le roman d'une lettre rédigée par l'héroïne avant son suicide, qui calque ainsi le travail de l’écrivain en proclamant : « Qu’on n’accuse personne… » [13]. Il n’est en outre guère étonnant de voir que Charles Bovary, le premier personnage à découvrir cette lettre et donc le suicide de sa femme, « ne pouvait que répéter : "Empoisonnée ! empoisonnée !" » [14], répétition dans laquelle se lit aussi bien son désespoir que, peut-être, son incrédulité face à un tel acte.

 

Mais surtout, une telle médiatisation de la mort d’Emma la place immédiatement du côté de la réception : en lisant cette lettre, Charles apparaît comme une mise en abyme du lecteur – et l'on sait à quel point Madame Bovary est un roman sur l’acte de lecture — lui aussi confronté à cette vérité aussi brutale que questionnable du suicide d’Emma. En d’autres termes, la réaction de Charles ouvre indirectement la voie à une longue tradition de remise en question du dénouement que propose Flaubert par des générations de lecteurs aussi insatisfaits que méfiants.

 

Du début du XXe siècle jusqu’à nos jours prolifèrent ainsi les réécritures, qui vont de la pure parodie à la transposition sérieuse [15], et dont l’une des principales originalités consiste dans une transmotivation [16] de cet événement clef de la fiction flaubertienne, à savoir la mort d’Emma qu’il s’agit de démotiver (elle ne s’est pas suicidée), puis de remotiver en lui attribuant une nouvelle explication. Ce n'est pas la mort d’Emma qui pose problème — très rares sont en effet les réécritures qui remettent en question ce dénouement logique de la fiction — mais plutôt les modalités de cette mort, à savoir le suicide par ingestion d'arsenic. Le suicide, thématique littéraire qui remonte au théâtre de l’Antiquité et « structure le genre littéraire dans son lien aux fondements mythologiques d’une société » [17], fait déjà figure de cliché dans la littérature du XIXsiècle [18] et s’avère par conséquent l’hypothèse que refusent des générations de lecteurs.

 

Une mort suspecte : fins alternatives, roman policier et critique interventionniste

 

Tout au long du XXe siècle, des écrivains s’emparent donc de l’histoire de Flaubert pour substituer au suicide d’Emma une fin alternative. Il ne s’agira pas ici de dresser une liste exhaustive des réécritures du roman de Flaubert [19], mais plutôt de montrer à partir de quelques exemples saillants quelles fins alternatives ont été proposées pour contester l’empoisonnement d’Emma et ouvrir la voie aux contre-enquêtes littéraires et critiques.

 

C'est sur un mode clairement parodique que surgit dès les années 30, dans une curieuse brochure intitulée Les Incarnations de Madame Bovary, une série de réécritures dont plusieurs détournent avec facétie le dénouement proposé par Flaubert. Par exemple, dans « Madame Bovary ou le sex-appeal en province », une courte nouvelle aussi parodique que grivoise, Georges de La Fouchardière imagine qu'Emma meurt dans un crash aérien après avoir initié à l'amour le jeune Justin avec lequel elle souhaitait s'enfuir de Yonville. Mais la nouvelle « Un drame de la vie provinciale » d'Odette Pannetier se distingue de la portée purement parodique des autres textes de ce recueil en ouvrant la voie à un nouveau genre, celui de la réécriture policière. Le récit commence par l'incipit suivant : « La femme de M. Charles Bovary, l'industriel rouennais bien connu, meurt dans des circonstances mystérieuses. La police enquête. (Les journaux.) » [20] et se poursuit à la première personne, celle d'une narratrice journaliste qui interroge successivement les personnages du roman de Flaubert, considérés comme autant de suspects, afin de découvrir la véritable cause de la mort d'Emma. Le schéma policier n'est toutefois qu'à peine esquissé et tourne à la parodie dans la conclusion sans appel de l'enquête journalistique : on découvre qu'Emma était accro à la cocaïne que lui fournissait M. Lheureux et qu'elle est morte d'une overdose. 

 

Ces premiers détournements du dénouement, aussi parodiques soient-ils, marquent ainsi la transformation du roman réaliste en roman policier, dont la réécriture proposée par Philippe Doumenc en 2007 a exploité toutes les possibilités en proposant une Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary qui entend contester une affirmation de Flaubert dans la correspondance à Sand qu'il appose en épigraphe de son roman :

 

« Mais naturellement ma pauvre Bovary s’est bien empoisonnée elle-même. Tous ceux qui prétendront le contraire n’ont rien compris à son personnage ! » [21].

 

Il faut toutefois se méfier de Doumenc qui prête en fait à Flaubert des propos inventés lui permettant de motiver l'hypothèse très propice à la narration qui gouverne sa réécriture : le maître de Croisset nous aurait menti, Emma ne se serait pas suicidée et aurait en fait été assassinée. 

 

La question devient donc : quel criminel Flaubert couvre-t-il ? Pour y répondre, Doumenc envoie deux policiers mener l'enquête à Yonville, interroger les coupables potentiels et percer le mystère de cette mort. Dans une réécriture qui manie habilement tous les ressorts prototypiques du roman policier [22] — la deuxième partie du roman est par exemple rédigée sous la forme d'un procès-verbal où sont retranscrites les dépositions des principaux suspects —, le lecteur est invité à essayer de résoudre l'enquête au gré de la lecture, en comparant par exemple les différentes dépositions des suspects et leurs incohérences respectives. Mais Doumenc se joue des codes du roman policier afin de garder intact le suspense et surprend son lecteur par une révélation finale qui fait du docteur Larivière l’assassin d'Emma. Si le roman se lit plaisamment, l'aussi inattendu qu'improbable coupable choisi par Doumenc peine à convaincre tant il est invraisemblable que cet éminent spécialiste ait pris part aux parties fines organisées par Rodolphe, mis Emma enceinte, pour finalement l'étrangler de peur qu'elle ne révèle tout...

 

Le ludisme irrévérencieux de la réécriture policière de Doumenc a toutefois fait des émules et trouve sa contrepartie dans plusieurs travaux universitaires, dont on pourrait dire qu'ils constituent une variante au second degré de cette pratique littéraire. Cette veine consiste à remettre en cause la mort d'Emma par une pratique non pas fictionnelle [23], mais méta-discursive, à l'aide des outils de la critique policière inaugurée par Pierre Bayard dans Qui a tué Roger Ackroyd ?. Dans cet ouvrage fondateur, Pierre Bayard part du principe que le narrateur d'Agatha Christie n'est pas fiable et se propose de rouvrir l'enquête afin de traquer un criminel impuni, entreprise qu'il a depuis réitérée à plusieurs reprises, jusqu'à proposer tout récemment de rétablir « la vérité sur Ils étaient dix » [24]. Si Pierre Bayard s'est ainsi fait une spécialité de démontrer les incohérences des romans à énigme et de leur adjoindre de nouveaux dénouements dans une critique aussi ludique que stimulante, c'est un véritable programme de critique policière qu'il propose dans le prologue de Qui a tué Roger Ackroyd ? :

 

S’il s’avérait cependant qu’une lecture comme la nôtre a un sens, les extensions n’en seraient pas négligeables. D’abord pour les autres œuvres d’Agatha Christie, voire d’autres écrivains de romans policiers, dont les lecteurs soupçonneux ont parfois le sentiment que l’assassin est parvenu à échapper à la sagacité de l’enquêteur. Alors que le roman policier est souvent vécu comme appelant à une lecture unique, notre proposition aurait pour bénéfice d’inviter à reprendre un certain nombre de dossiers douteux et à partir en quête de criminels impunis. 

Mais, par ailleurs, de nombreux décès de la littérature, et pas seulement policière, mériteraient d’être reconsidérés. Qui s’est jamais interrogé sérieusement, par exemple, sur les étranges épidémies de décès qui frappent les héros des fables de La Fontaine ? Est-on si assuré que la dame aux camélias soit morte de mort naturelle ? Est-il exclu que Madame Bovary ait été assassinée ? Et que sait-on au juste du décès de Bergotte ? 

Indépendamment du problème des morts suspectes, de multiples faits littéraires gagneraient de toute manière à être remis en perspective ou éclairés différemment. [25]

 

Madame Bovary figure parmi les exemples qu'il emprunte à la littérature française : il range ainsi le suicide d'Emma au rayon « des morts suspectes » et considère que le lecteur est en droit de s'interroger sur un potentiel assassinat qu'il s'agirait donc d'élucider. Trop occupé par ses propres contre-enquêtes critiques (sur les romans d'Agatha Christie et de Conan Doyle, ou sur Hamlet de Shakespeare…), il laisse toutefois cette affirmation au stade de l'hypothèse, une hypothèse que deux flaubertiennes n'ont pas manqué depuis d'explorer.

 

Dans une contribution intitulée « Qui a tué Madame Bovary ? » [26], c'est Françoise Gaillard qui emboîte la première le pas à Pierre Bayard, mais elle propose en fait moins une contre-enquête critique qu'une discréditation du roman de Doumenc dont « [e]lle dénonce l’inanité de la démarche inquisitoriale [...], au titre du suprême désintérêt de Flaubert pour la causalité » [27].  

 

Sylvie Triaire situe quant à elle son travail critique en réponse directe à la contre-enquête de Doumenc, dont elle ne remet pas en cause le principe ludique de composition, mais plutôt la conclusion, « coup de théâtre [qui] résout l’énigme » [28] et repose en partie sur l'éviction de coupables potentiels qui n'intéressent pas Doumenc :

 

L’enquête de Doumenc, scrupuleuse comme le requiert le genre […], écarte toutefois quelques personnages : Berthe n’existe carrément pas [...] ; et Binet, personnage certes fort secondaire dans le roman de Flaubert, reste toutefois très en retrait de l’enquête de Doumenc, comme maintenu à l’écart du jeu des hypothèses policières. Nous essaierons de nous demander pourquoi, et de corriger le tir en ramenant ce personnage dans la lumière – où, d’ailleurs, le plaçait, ponctuellement et parfois furtivement, le récit flaubertien.[29]

 

Elle affiche ainsi clairement son but : il s'agit de reprendre l'enquête ouverte par Doumenc et de prouver que le personnage de Binet est l'assassin d'Emma. Dans une lecture minutieuse et documentée du roman de Flaubert, elle dresse le portrait psychologique de Binet, rappelle que  «[c]e personnage si secondaire et si médiocre apparaît pourtant toujours, avec une certaine régularité là encore, à des moments déterminants pour Emma» [30], puis montre avec justesse à la suite d'autres critiques que Binet et son tour peuvent être vus comme une discrète représentation de l'écrivain dans le roman, jusqu'à en conclure : « Alors oui, Binet, le personnage en dessous de tout soupçon chez Doumenc est bien, au fond, responsable de la mort d’Emma. Avec constance, il l’accompagne ou la précède sur le chemin périlleux de sa descente aux enfers. » [31] 

 

Mais pour servir son hypothèse où accuser Binet revient à condamner Flaubert [32], Sylvie Triaire oublie elle aussi habilement un autre personnage secondaire [33] que négligeait déjà Doumenc. 

            

À relire le texte de Flaubert de plus près, il n'est toutefois pas évident que le personnage en question soit aussi naïf et innocent que pourrait le laisser croire une première lecture du roman. Au contraire, nous sommes convaincus qu'il est possible de dresser un réquisitoire en règle contre ce personnage à partir d'une lecture très précise du texte, et ainsi d'innocenter le pauvre tourneur de ronds de serviettes.

 

 

Faites entrer l'accusé : un profil psychologique singulier

 

L'analyse quantitative semble confirmer qu'il s'agit d'un personnage secondaire sans importance : on ne relève que trente-sept occurrences[34] de son prénom dans le texte. À titre de comparaison, il y a cent quarante mentions de « Léon » et cent trente de « Rodolphe », contre vingt-quatre seulement de « l'abbé Bournisien » ou de « Berthe ». Mais au-delà de la donnée quantitative, c'est la présence de ce personnage presque tout au long du roman qu'il est important de noter : depuis sa première apparition au troisième chapitre de la deuxième partie (au moment de l'installation des Bovary à Yonville) jusqu'au dernier chapitre du roman, où l'on apprend qu'il est devenu « garçon épicier » [35] à Rouen.

 

Inutile de faire durer plus longtemps le suspense, on l'aura deviné, le personnage que l'on soupçonne, c'est «Justin, l'élève en pharmacie, un arrière-cousin de M. Homais que l'on avait pris dans la maison par charité, et qui servait en même temps de domestique» [36], ainsi qu'il est présenté lors de sa première apparition dans le roman.

 

Justin est en effet très souvent présent lors de moments clefs de la vie d'Emma et apparaît même comme un témoin privilégié de l'action, observateur des faits et gestes des uns et des autres, ainsi que le souligne avec quelque ironie Flaubert : « Mais un défaut plus grave, et qu'il [Homais] lui [Justin] reprochait, c'était d'écouter continuellement les conversations » [37].

 

Dès la deuxième apparition du jeune homme dans le roman, un trait essentiel de son caractère est mentionné, à savoir son insatiable curiosité, dont un lecteur averti devrait d'autant plus se méfier qu’elle passe paradoxalement inaperçue des autres protagonistes du roman. Personne ne semble en effet prêter attention à un personnage dont les « empressements silencieux » [38], les « timidités » et les « pas muets » [39] soulignent aussi toute la discrétion. Curiosité sans bornes d'une part, mais discrétion et timidité presque maladives de l'autre seraient donc les premiers traits ambigus de la psychologie de Justin.

 

Un autre aspect de la psychologie de Justin qui n’aura pas échappé à tout lecteur vigilant, tant il est mis en avant tout au long du roman, c'est que Justin tombe éperdument amoureux d'Emma, et cela probablement dès leur première rencontre. Flaubert suggère en effet cet amour par l'entremise d'Homais, dès la deuxième mention du jeune homme : 

 

Alors M. Homais le [Justin] regardait d'un œil narquois, surtout si Félicité se trouvait là, s'étant aperçu que son élève affectionnait la maison du médecin.

– Mon gaillard, disait-il, commence à avoir des idées, et je crois, diable m'emporte, qu'il est amoureux de votre bonne ! [40]

 

L'ironie flaubertienne souligne la bêtise d'Homais qui croit que Justin est amoureux de Félicité, tout en indiquant subtilement au lecteur que ce dernier s'est épris d'Emma. Mais Homais n'est pas le seul dupe, puisque l'amour de Justin pour Madame Bovary demeure en fait insoupçonné de tous les personnages du roman, elle y compris :

 

Justin les accompagnait. Il montait avec eux dans la chambre, et il restait debout près de la porte, immobile, sans parler. Souvent même, madame Bovary, n'y prenant garde, se mettait à sa toilette. [...] Emma, sans doute, ne remarquait pas ses empressements silencieux ni ses timidités. Elle ne se doutait point que l'amour, disparu de sa vie, palpitait là, près d'elle, sous cette chemise de grosse toile, dans ce cœur d'adolescent ouvert aux émanations de sa beauté. [41]

 

En quelques lignes, le texte indique à trois reprises qu'elle est totalement aveugle à l'amour de Justin, qui apparaît, même pour elle, comme un être transparent. 

 

Le lecteur se trouve donc face à un jeune homme d'une curiosité sans bornes mêlée à une discrétion insoupçonnable, éperdument amoureux d'une femme dont il n'est pas aimé en retour. Tous les amoureux ignorés ou éconduits ne tuent toutefois pas l'objet de leur désir, car le monde serait autrement un véritable charnier. Ce profil psychologique singulier invite cependant à orienter l'enquête vers un mobile bien connu des services de police et qui fait, déjà au dix-neuvième siècle, les grands titres des journaux populaires [42] : celui du crime passionnel. 

 

En outre, comme le sait tout lecteur de Proust, qui dit amour, dit jalousie, et il semble légitime de se demander si Justin est témoin des amours adultères d'Emma ou même simplement s'il se rend compte qu'il a deux rivaux (Rodolphe et Léon) qui obtiennent d'Emma ce qu'il lui est impossible d'obtenir. Plusieurs éléments du texte semblent inviter à répondre par l'affirmative. En effet, alors même, on l’a vu, que le narrateur mentionne la propension de Justin à « écouter continuellement les conversations » [43], il indique également que « [l]e dimanche, par exemple, on ne pouvait le faire sortir du salon, où Madame Homais l’avait appelé pour venir prendre les enfants, qui s’endormaient dans les fauteuils »[44] justement lors de  «ces soirées du pharmacien» où « ne venait pas grand monde » [45].

 

 

Il est donc tout à fait logique de supposer Justin présent et aux aguets. Or, voici ce à quoi l'on assiste lors de ces soirées :

 

Lorsque la partie de cartes était finie, l'apothicaire et le médecin jouaient aux dominos, et Emma changeant de place, s'accoudait sur la table, à feuilleter l'Illustration. Elle avait apporté son journal de modes. Léon se mettait près d'elle ; ils regardaient ensemble les gravures et s'attendaient au bas des pages. Souvent elle le priait de lui lire des vers ; Léon les déclamait d'une voix traînante et qu'il faisait expirer soigneusement aux passages d'amour. Mais le bruit des dominos le contrariait ; M. Homais y était fort, il battait Charles à plein double-six. Puis, les trois centaines terminées, ils s'allongeaient tous deux devant le foyer et ne tardaient pas à s'endormir. [...] Léon lisait encore. Emma l'écoutait, [...]. Léon s'arrêtait, désignant d'un geste son auditoire endormi ; alors ils se parlaient à voix basse, et la conversation qu'ils avaient leur semblait plus douce, parce qu'elle n'était pas entendue.

Ainsi s'établit entre eux une sorte d'association, un commerce continuel de livres et de romances ; M. Bovary, peu jaloux, ne s'en étonnait pas. [46]

 

Plusieurs éléments clefs retiennent l'attention dans cette scène : ni Charles, ni Homais, trop occupés à leur partie de dominos puis à s'endormir au coin du feu, ne remarquent la complicité amoureuse teintée d'un érotisme discret qui s'établit entre Léon et Emma et les pousse à converser à « voix basse, et la conversation qu'ils avaient leur semblait plus douce, parce qu'elle n'était pas entendue ».

 

Mais l'est-elle vraiment ? Alors que tout indique qu'il est présent lors des soirées organisées par Homais, Justin est absent de ces lignes (rien d'étonnant puisque c'est la logique générale du régime de la narration que d'oublier ce personnage secondaire), mais tout porte donc à croire qu'il est le témoin invisible de cette complicité amoureuse, lui dont la propension à écouter les conversations aussi bien que celle à s'attarder dans le salon viennent d'être soulignées quelques lignes plus tôt dans le roman. Dès lors si Charles, « peu jaloux », ne s'inquiète ni même ne s'étonne du « commerce continuel de livres et de romances » qui s'établit entre Léon et Emma, on est en droit de se demander si c'est également le cas de Justin, qui est peut-être plus jaloux que le mari. Il fait d'ailleurs partie des témoins directs du cadeau fait par Emma à Léon et qui alimente de très explicites rumeurs à Yonville sur la nature exacte de leur relation :

 

Un soir, en rentrant, Léon trouva dans sa chambre un tapis de velours et de laine avec des feuillages sur fond pâle, il appela madame Homais, M. Homais, Justin, les enfants, la cuisinière, il en parla à son patron ; tout le monde désira connaître ce tapis ; pourquoi la femme du médecin faisait-elle au clerc des générosités ? Cela parut drôle, et l'on pensa définitivement qu'elle devait être sa bonne amie. [47]

 

Dès les premiers chapitres, et alors qu'il est déjà amoureux d'Emma, le roman présente donc Justin comme un témoin privilégié des développements de l'amour d'abord platonique qui se noue entre l'héroïne éponyme et Léon. 

 

Mais qu'en est-il de la liaison bien plus charnelle qu'elle entretient ensuite avec Rodolphe ? Il n'est probablement pas inutile de constater d'emblée que Justin est présent lors de leur première rencontre qui a lieu alors que Rodolphe conduit l'un des paysans de son domaine à Charles pour qu'il le saigne. Justin est même la première personne que Rodolphe rencontre en arrivant chez les Bovary. On sait en outre que cette scène scelle le début de la séduction d'Emma par Rodolphe, puisqu'elle se clôt sur des mots et un jeu de regards du châtelain tout à fait explicites [48] indiquant sa ferme résolution de la conquérir [49].

 

 

Le texte ne dit pas si Justin, qui s'est évanoui pendant la majeure partie de cette rencontre, s'est rendu compte des velléités du vicomte. Il est toutefois évident que le jeune homme devient ensuite un témoin privilégié de la liaison qu'Emma entretient avec Rodolphe, puisqu'elle l'utilise notamment pour faire passer des messages au châtelain : « Ils recommencèrent à s'aimer. Souvent même, au milieu de la journée, Emma lui écrivait tout à coup ; puis, à travers les carreaux, faisait un signe à Justin, qui, dénouant vite sa serpillière, s'envolait à la Huchette » [50].

 

Emma a même entièrement confiance en Justin qui a réussi à la convaincre de « le prendre chez elle comme valet de chambre » [51] et s’avère « plus ingénieux à la servir qu'une excellente camériste » [52]. Ce rôle de valet de chambre en qui la victime a entièrement confiance en fait d'ailleurs un équivalent du personnage type du majordome dans les romans policiers à énigme : coupable idéal parce que tout le temps présent, mais rendu insoupçonnable parce qu'il semble extérieur aux enjeux principaux du récit.

 

 Fidèle serviteur d'Emma, Justin est à la fois le témoin discret des premiers émois de la jeune femme pour Léon, puis de sa liaison sulfureuse avec Rodolphe, alors qu'il est lui-même amoureux d'elle et qu'elle ne s'en aperçoit pas. On tiendrait donc l’esquisse d’un mobile : celui d'un crime passionnel motivé par la jalousie d’un être qui se rend bien compte que d’autres jouissent de faveurs qu’il n’est pas en mesure d’obtenir ? On nous objectera que c'est faire du jeune et naïf Justin un bien retors criminel, lui qui ne serait qu'une « figure d'adolescent qui naît à l'amour » [53].

 

#Méfiez-vous des Chérubins…

 

Dans cette « figure d'adolescent qui naît à l'amour », ce que le critique Alfred Feuillet a bien reconnu dès la parution du roman, c'est le personnage hypotextuel qui aurait vraisemblablement inspiré Flaubert, à savoir Chérubin du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Si la Correspondance et le Dictionnaire des idées reçues attestent que Flaubert a bien lu Beaumarchais et en particulier Le Mariage [54], nulle part on ne trouve pourtant chez le romancier de référence explicite à Chérubin en relation à Justin [55].

 

Mais c’est le texte de Madame Bovary lui-même qui porte trace de cette intertextualité, ainsi que le révèle une lecture au peigne fin. Une phrase attire en particulier l'attention : alors que Félicité s'impatiente de l'empressement du désir de Justin, elle lui reproche d'être « toujours à fourrager du côté des femmes »[56]. Prononcée par une servante, cette phrase pourrait passer inaperçue, si elle ne se lisait pas comme une reprise presque littérale d’une réplique de la célèbre pièce de Beaumarchais où Figaro dit à Chérubin : « tu ne rôderas plus tout le jour au quartier des femmes » [57]. On n'en finirait pas en fait de relever les points communs entre ces deux personnages aux prénoms qui riment : Justin, comme Chérubin, prend plaisir à admirer les tenues et effets des femmes. Comme lui également, il « n'ose pas oser » [58] et alors que Chérubin est « timide à l'excès devant la comtesse » [59], Justin souffre, on l'a vu, d'une timidité presque maladive face à Madame Bovary.

 

Mais en quoi  considérer Justin comme un nouveau Chérubin, ce « morveux sans conséquence » [60], en ferait-il un potentiel criminel ? C'est que Chérubin n'est peut-être pas aussi innocent qu'on a l’habitude de le croire, ainsi que permettent de le soupçonner plusieurs éléments de la trilogie de Beaumarchais. Dans Le Mariage de Figaro déjà, on peut se demander si Chérubin est vraiment un personnage « qui n’ose pas oser », lui qui vole un baiser à Suzanne (acte II, scène 14) ou tient des propos à la comtesse (la prenant pour Suzanne à l’acte V scène 6) qui relèvent du harcèlement et du chantage sexuel, et ne sont pas sans évoquer les revendications du comte au droit de cuissage. 

 

En ce sens, Chérubin fait figure de « double du comte » [61] auquel Suzanne prédit d’ailleurs un avenir de (dangereux ?) séducteur : « Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien ! » [62] 

 

Or La Mère coupable, troisième volet de la trilogie, réalise finalement cette prophétie. Toute la noirceur que contenait en puissance le jeune éphèbe du Mariage de Figaro est révélée puisque l’on apprend que Léon n’est autre que le fils naturel que la comtesse a eu avec Chérubin, dans une relation qui relève du viol, si l’on en croit la lettre de la comtesse relatant l’événement et évoquant : « la surprise nocturne que vous avez osé me faire, dans un château où vous fûtes élevé, dont vous connaissiez les détours ; la violence qui s’en est suivie ; enfin votre crime » [63]. Comme le remarquent Anne Grand d’Esnon, et plusieurs critiques avant elle [64], le texte de Beaumarchais dit presque explicitement que Chérubin aurait forcé la comtesse à avoir une relation sexuelle aussi inattendue que violente, autrement dit non consentie.

 

Un meurtrier in absentia : non-assistance à personne en danger  

 

Il semblerait toutefois que s’arrête ainsi toute comparaison possible entre Chérubin et Justin, puisque nulle part dans le texte de Flaubert n’est-il fait mention, même implicitement, d’un viol. Nous voudrions cependant explorer l’hypothèse qui ferait de Justin un Chérubin en puissance, c’est-à-dire un jeune homme frustré qui ne peut contrôler son désir pour Emma et va donc se faire volontairement le complice de son suicide, à défaut de pouvoir coucher avec elle. 

 

Deux éléments supplémentaires du texte permettent en effet, il nous semble, d'étayer la thèse d'un crime passionnel in absentia. C'est d'abord un dernier trait psychologique de Justin qui confirmerait, à lire de près le roman, qu'il ne s'agit pas d'un adolescent naïf et vulnérable, mais plutôt d'un jeune homme brimé par un oncle abusif [65], s'éveillant à des désirs corporels qui expriment toute sa frustration sexuelle. Deux scènes en particulier l’attestent, car elles mettent en évidence un fétichisme et un voyeurisme plus que déroutants dans le contexte de notre enquête. 

 

La première a lieu alors que Justin regarde Félicité blanchir le linge de sa maîtresse :

 

Le coude sur la longue planche où elle repassait, il considérait avidement toutes ces affaires de   femmes étalées autour de lui : les jupons de basin, les fichus, les collerettes, et les pantalons à coulisse, vastes de hanches et qui se rétrécissaient par le bas.

– À quoi cela sert-il ? demandait le jeune garçon en passant sa main sur la crinoline ou les agrafes. […]

 Mais Félicité s'impatientait de le voir tourner ainsi tout autour d'elle. Elle avait six ans de plus,    et Théodore, le domestique de M. Guillaumin, commençait à lui faire la cour.

– Laisse-moi tranquille ! disait-elle en déplaçant son pot d'empois. Va-t'en plutôt piler des amandes ; tu    es toujours à fourrager du côté des femmes ; attends pour te mêler de ça, méchant mioche, que tu aies de la barbe au menton.

– Allons, ne vous fâchez pas, je m'en vais vous faire ses bottines. [66]

 

L'adverbe « avidement » souligne que la vue du linge intime féminin d'Emma est loin de laisser Justin de marbre, et derrière la prétendue naïveté de sa question vestimentaire, dont se moque Félicité qui ne semble pas dupe, percent un voyeurisme et une convoitise aux connotations sexuelles évidentes (« en passant sa main sur la crinoline ou les agrafes »). La remarque que lui fait d'ailleurs Félicité agacée par les manifestations de son désir, en l'invitant à « piler des amandes » plutôt que de « fourrager du côté des femmes » — phrase dont on a déjà noté toute la résonance intertextuelle —, a également une connotation sexuelle presque explicite [67] que confirmerait d’ailleurs la réponse de Justin : « Allons, ne vous fâchez pas, je m'en vais vous faire ses bottines. »

 

Si au sens littéral, Justin propose d'aider Félicité en décrottant les bottines d'Emma, on peut se demander si les italiques de Flaubert n'insistent pas sur le fétichisme d'une telle activité et même sur l'allusion potentiellement sexuelle d'une telle proposition évoquant celle de « proposer la botte », expression grivoise inspirée du vocabulaire de l'escrime, et déjà attestée à la fin du XIXe siècle [68]. En outre, une deuxième scène, impliquant cette fois la chevelure d'Emma, semble corroborer ce qui n'était encore que latent dans la scène avec Félicité :

 

Il montait avec eux dans la chambre, et il restait debout près de la porte, immobile, sans parler. Souvent même, madame Bovary, n'y prenant garde, se mettait à sa toilette. Elle commençait par retirer son peigne, en secouant sa tête d'un mouvement brusque ; et, quand il aperçut la première fois cette chevelure entière qui descendait jusqu'aux jarrets en déroulant ses anneaux noirs, ce fut pour lui, le pauvre enfant, comme l'entrée subite dans quelque chose d'extraordinaire et de nouveau dont la splendeur l'effraya. [69]

                        

Dans cette scène déjà partiellement citée plus haut, le voyeurisme de Justin est à son comble puisqu'il regarde Emma à sa toilette sans qu’elle le voie, et la vision très érotique de « cette chevelure entière qui descendait jusqu'aux jarrets en déroulant ses anneaux noirs » provoque chez lui « comme l'entrée subite dans quelque chose d'extraordinaire et de nouveau dont la splendeur l'effraya ». La comparaison flaubertienne est aussi surprenante qu'éminemment sexuelle : ne s'agirait-il pas d'un dépucelage symbolique ?

 

Si cet éveil au désir a quelque chose de sublime (« extraordinaire », « splendeur »), le sentiment qu'il procure à Justin est d'abord celui de l'effroi. Il s'agit bien sûr de la peur d'un éveil corporel qui le dépasse et qu'il ne peut contrôler, mais peut être aussi de la peur qu'un désir qu'il sait non réciproque pourrait le pousser à commettre un acte criminel. Au cliché d'un personnage secondaire, jeune et naïf et presque inexistant dans le roman, notre enquête substituerait donc un jeune homme à la fois timide et curieux, dont l'éveil à une sexualité non accomplie laisse percer un voyeurisme et un fétichisme troublants, et qui est témoin des amours adultères d'Emma, mais demeure incapable de se faire aimer ou même simplement désirer d’elle.

 

Le dernier point qui viendrait compléter ce profil psychologique esquissant un mobile – laisser mourir par frustration celle qu'on ne peut posséder et que l'on sait souillée par les autres – serait la préméditation d'un crime que le texte de Flaubert semble également indiquer. Comment Justin aurait-il tué Emma sans éveiller aucun soupçon ? Le roman de Flaubert est formel : en faisant passer son assassinat pour un empoisonnement, ou plus exactement en aidant Emma à s'empoisonner dans une préméditation qui l'érige en complice de son suicide.

 

On sait en effet qu'Emma se suicide en ingérant de l'arsenic qui provient de la pharmacie d'Homais et que c'est Justin qui lui donne accès au poison, dans un passage qui mérite d'être cité intégralement car il présente plusieurs éléments que l'enquêteur ne peut s'empêcher de questionner :

 

Il revint. Elle frappa contre la vitre. Il sortit.

 – La clef ! celle d'en haut, où sont les...

  – Comment ?

Et il la regardait, tout étonné par la pâleur de son visage, qui tranchait en blanc sur le fond noir de la nuit. Elle lui apparut extraordinairement belle, et majestueuse comme un fantôme ; sans comprendre ce qu'elle voulait, il pressentait quelque chose de terrible.

Mais elle reprit vivement, à voix basse, d'une voix douce, dissolvante :

  – Je la veux ! donne-la-moi. [...]

  Elle prétendit avoir besoin de tuer les rats qui l'empêchaient de dormir.

   – Il faudrait que j'avertisse monsieur.

   – Non ! reste !

  Puis, d'un air indifférent :

  – Eh ! ce n'est pas la peine, je lui dirai tantôt. Allons, éclaire-moi !

 Elle entra dans le corridor où s'ouvrait la porte du laboratoire. Il y avait contre la muraille une clef étiquetée capharnaüm.

  – Justin ! cria l'apothicaire, qui s'impatientait.

  – Montons !

 Et il la suivit.

La clef tourna dans la serrure, et elle alla droit vers la troisième tablette, tant son souvenir la guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le bouchon, y fourra sa main, et, la retirant pleine d'une poudre blanche, elle se mit à manger à même.

 – Arrêtez ! s'écria-t-il en se jetant sur elle.

 – Tais-toi ! on viendrait...

  Il se désespérait, voulait appeler.

 – N'en dis rien, tout retomberait sur ton maître ! [70]

 

S'il est bien indiqué que Justin « pressentait quelque chose de terrible », il semble toutefois subjugué par la beauté mortifère d'Emma, ne lui oppose quasiment aucune résistance et ne fait véritablement rien pour l'arrêter avant qu'elle ait ingéré le poison, alors que l'on peut supposer qu'entre le moment où elle met la main sur le bocal bleu et celle où elle mange l'arsenic, il aurait le temps d'intervenir. Ce qui est d'autant plus troublant que l'on a du mal à croire le narrateur flaubertien, qui mentirait donc pour lever tout soupçon sur l'adolescent, quand il affirme que Justin agit « sans comprendre ce qu'elle voulait », puis gobe sans rechigner l'explication qu'elle lui fournit (« Elle prétendit avoir besoin de tuer les rats qui l'empêchaient de dormir ») alors qu'un peu plus tôt dans le roman il a été fortement sermonné par Homais sur les dangers mortels de l'arsenic contenu dans le capharnaüm : 

 

  – Tout à l'heure ! – Sais-tu à quoi tu t'exposais ?... N'as-tu rien vu, dans le coin, à gauche, sur la   troisième tablette ? Parle, réponds, articule quelque chose !

  – Je ne... sais pas, balbutia le jeune garçon.

  – Ah ! tu ne sais pas ! Eh bien, je sais, moi ! Tu as vu une bouteille, en verre bleu, cachetée avec de la cire jaune, qui contient une poudre blanche, sur laquelle même j'avais écrit : Dangereux ! et sais-tu ce qu'il y avait dedans ? De l'arsenic ! et tu vas toucher à cela ! prendre une bassine qui est à côté !

 – À côté ! s'écria madame Homais en joignant les mains. De l'arsenic ? Tu pouvais nous empoisonner tous !

Et les enfants se mirent à pousser des cris, comme s'ils avaient déjà senti dans leurs entrailles d'atroces douleurs.

– Ou bien empoisonner un malade ! continuait l'apothicaire. Tu voulais donc que j'allasse sur le banc des criminels, en cour d'assises ? me voir traîner à l'échafaud ? [...]

Emma ne songeait plus à demander ce qu'on lui voulait, et le pharmacien poursuivait en phrases haletantes [71]

 

Il est donc évident, sauf à supposer une amnésie plus qu'improbable pour un personnage de son âge, qu'il sait exactement ce qu'Emma compte faire [72] et qu'il l'y aide plutôt que de l'en empêcher. Et, si Homais craint de se retrouver «sur le banc des criminels, en cour d'assises», c'est bien en fait Justin qui mérite d'y être conduit afin d’être jugé pour un acte qui relève en effet de la définition pénale de la non-assistance à personne en danger [73]

Considérées sous cette nouvelle lumière, les deux dernières mentions du personnage dans le roman renforcent nos soupçons. Dans une image où Flaubert parodie la littérature romantique, l'avant-dernière mention présente Justin en pleurs sur la tombe d'Emma : « sous la pression d'un regret immense plus doux que la lune et plus insondable que la nuit » [74], et l'on peut se demander si le ton de la parodie railleuse du romantisme qui anime la comparaison choisie par Flaubert pour expliciter ce « regret immense » n'est pas en fait celui d'un personnage rongé par les remords de son inaction volontaire. Ce qui expliquerait également le verbe choisi par Flaubert quand il décrit ce qu'est devenu Justin lors de sa dernière mention dans le roman : « Justin s'était enfui à Rouen, où il est devenu garçon épicier » [75].

 

Pourquoi Flaubert utilise-t-il le verbe « s'enfuir » plutôt que « partir » ? On sait à quel point l'écrivain retravaillait ses textes et s'il est bien une chose que l'on ne peut remettre en question, c'est la précision chirurgicale de sa prose : la fuite de Justin serait donc bien celle d'un assassin in absentia reconverti en commerçant...

 

En guise de conclusion : littérature in absentia 

 

À quoi sert au juste de faire de Justin un jeune homme jaloux, fétichiste et pervers qui aurait assassiné Emma Bovary par omission ? D’un point de vue strictement juridique, on pourrait répondre que cela le rend passible de cinq ans de prison et de soixante-quinze mille euros d’amende. Mais cette réponse serait aussi anachronique que stupide : la non-assistance à personne en danger n’est punie par le code pénal que depuis 1941 et il serait de toute façon chimérique de vouloir faire enfermer un personnage de fiction.

 

La réponse que nous aimerions proposer sera plutôt d’ordre théorique : c’est une certaine idée de la littérature que cette hypothèse nous permet d’explorer, celle qui souligne les latences d’un texte qu’elle invite ainsi à relire d’un œil neuf. À Alfred Feuillet qui lui reproche de n’avoir pas assez développé le personnage de Justin [76], Flaubert répond dans sa correspondance : « Vous seul avez mis le doigt sur la plaie en indiquant la faiblesse du caractère de Justin. Vous avez parfaitement raison » [77].  Flaubert semble ainsi confesser que la psychologie de ce personnage secondaire aurait pu être plus développée, et c’est bien ce que cette enquête, avant tout littéraire, propose de faire : partir du texte pour en révéler les zones d’ombre, les implicites ou les non-dits, quitte à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. 

 

Cette lecture place ainsi Madame Bovary dans l’ombre de Beaumarchais en évoquant la possibilité d’une intertextualité qui n’avait, à notre connaissance, encore jamais été suggérée par la critique. En outre, en faisant de Justin un nouveau Chérubin qui tue par omission, elle fait résonner l’œuvre de Flaubert, non peut-être sans le risque d’anachronisme que prend toute lecture actualisante, dans les préoccupations actuelles de notre société post-Metoo.

 

D'aucuns nous reprocheront que c'est aller contre l'esprit du texte de Flaubert que de pratiquer un tel type de lecture. Nous ne le croyons pas, et pensons au contraire que ce maître de l'ironie aurait été susceptible d'apprécier une telle démarche. Dans le Dictionnaire des idées reçues, à l'entrée « Arsenic », il écrit en effet : « Se trouve partout. Rappeler Mme Lafarge. — Cependant, il y a des peuples qui en mangent... ».

 

N'est-ce pas la preuve d'un véritable sens de l'autodérision de la part de l'auteur qui a fait de ce poison l'outil narratologique — et la caution réaliste — du suicide de sa plus célèbre héroïne ? D'autant que, dans une ultime pirouette, Flaubert fait de la fiction le miroir inversé de la réalité : si Emma se suicide à l'arsenic, on sait que dans l'affaire Lafarge qui défraya la chronique dans les années 1840, Marie Lafarge fut accusée et condamnée pour avoir empoisonné son mari à l'aide de ce poison, lors d'un procès qui divisa l'opinion publique et stimula la création littéraire. Avant même d’être théorisé par Jules de Gaultier, puis inscrit dans la liste des droits imprescriptibles du lecteur par Pennac, le « bovarysme » avait devant lui de beaux jours…

 

 

Bertrand Bourgeois.

 

 

Pour citer cet article : 

Bertrand Bourgeois, "Nouvelle enquête sur la mort d'Emma Bovary : dans l'ombre de Beaumarchais", Intercripol - revue de critique policière, N°003, "Investigations solitaires", Février 2022. URL : http://intercripol.org/fr/thematiques/critique-policiere/contre-enquetes-sur-la-mort-d-emma-bovary/nouvelle-contre-enquete-sur-la-mort-d-emma-bovary-dans-l-ombre-de-beaumarchais.html. Consulté le 30 Septembre 2021. 

Illustrations : 

Affiches de diverses adaptations cinématographiques de Mme Bovary (Jean Renoir, 1933; Vincente Minelli, 1949 ; Hans Schott-Schöbinger, 1969) et couverture d'une édition anglaise des années 1960. 

Bibliographie :  

Acher Lionel, « Réécritures et suites de Madame Bovary », en ligne, 2009 : https://flaubert.univ-rouen.fr/derives/artic.php

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Paris : GF, 1999 [1785]. 

Bayard Pierre, Qui a tué Roger Ackroyd ? (1998), Paris, Minuit, 2008.

______. La Vérité sur “Ils étaient dix”, Paris, Minuit, 2020. [2019].

Bourgeois Bertrand, « Assassinat ou mythification d'une héroïne : qui a tué Madame Bovary ? », dans Patrick Bergeron et Marie Carrière (dir.), Les Réécrivains. Enjeux transtextuels dans la littérature moderne d’expression française, New-York, Peter Lang, 2011, p. 9-22.  

Doumenc Philippe, Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary, Arles, Actes Sud, 2007.

Feuillet Alfred, Flânerie littéraire à travers quelques œuvres récentes, Paris : Dentu, 1859.

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________. Correspondance, Yvan Leclerc et Danielle Girard (dir.), en ligne : https://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/edition/  

Gaillard Françoise, « Qui a tué Madame Bovary ? », dans Anne Herschberg-Pierrot (dir.), Flaubert, éthique et esthétique, Saint-Denis, PU de Vincennes, 2012, p. 67‑80.

Genette Gérard, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1992 [1982].

Hollingsworth Deudon Eric, « Gustave Flaubert et le souci de vraisemblance : la mort d’Emma Bovary », dans  Les Amis de Flaubert, Bulletin n° 53 (1978), en ligne : https://www.amis-flaubert-maupassant.fr/article-bulletins/053_004, consulté le 11 septembre 2020.

Levallet Nelly et Rizet Clément, « Emma Bovary, Flaubert et nous – un suicide entre mélancolie et hystérie », dans Pyschologie clinique et projective, no16, 2010, p. 247-269.

Les Incarnations de Madame Bovary, (éd.) Roger Dacosta, Paris, le Laboratoire de l’Hépatrol, 1933.

Rancière Jacques, « La mise à mort d’Emma Bovary », dans Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 59-83.

Triaire Sylvie, « Si Binet m’était conté. Enquête sur un personnage au‑dessous de tout soupçon. », Fabula / Les colloques, Premier symposium de critique policière. Autour de Pierre Bayard, en ligne, 2017 : http://www.fabula.org/colloques/document4842.php, page consultée le 3 juin 2020.

Notes :  

[1] G. Flaubert, Lettre à Ernest Chevalier, 14 août 1835, Correspondance, Yvan Leclerc et Danielle Girard (dir.), en ligne : https://flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/correspondance/trans.php?corpus=correspondance&id=9520&mot=&action=M  

[2] Voir par exemple également sa lettre à Jules Duplan du 25 septembre 1861 : « L'empoisonnement de la Bovary m'avait fait dégueuler dans mon pot de chambre. » Correspondance, Yvan Leclerc et Danielle Girard (dir.), en ligne : https://flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/correspondance/trans.php?corpus=correspondance&id=10508&mot=&action=M

[3] G. Flaubert, lettre à Hippolyte Taine, 20 novembre 1866, Correspondance, Yvan Leclerc et Danielle Girard (dir.), en ligne : https://flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/correspondance/trans.php?corpus=correspondance&id=11031&mot=&action=M

[4] P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ? (1998), Paris, Minuit, 2008, p. 17

[5] O. Pannetier, « Un drame de la vie provinciale », dans Les Incarnations de Madame Bovary, (éd.) Roger Dacosta, Paris, le Laboratoire de l’Hépatrol, 1933.

[6] P. Doumenc, Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary, Arles, Actes Sud, 2007.

[7] F. Gaillard, « Qui a tué Madame Bovary ? », dans Anne Herschberg-Pierrot (dir.), Flaubert, éthique et esthétique, Saint-Denis, PU de Vincennes, 2012, p. 67‑80.

[8] S. Triaire, « Si Binet m’était conté. Enquête sur un personnage au‑dessous de tout soupçon. », Fabula / Les colloques, Premier symposium de critique policière. Autour de Pierre Bayard, en ligne, 2017 : http://www.fabula.org/colloques/document4842.php, page consultée le 3 juin 2020.

[9] E. Hollingsworth Deudon, « Gustave Flaubert et le souci de vraisemblance : la mort d’Emma Bovary », dans  Les Amis de Flaubert, Bulletin n° 53 (1978), en ligne : https://www.amis-flaubert-maupassant.fr/article-bulletins/053_004, consulté le 11 septembre 2020.

[10] Idem.

[11] Idem.

[12] Idem.

[13] G. Flaubert, Madame Bovary (1857), Paris, GF, 2014, p. 391.

[14] Idem.

[15] Pour reprendre la typologie de Gérard Genette dans Palimpsestes, Paris, Seuil, 1992 [1982].

[16] G. Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1992, p. 466-471. En résumé, ce terme désigne l’opération qui consiste à substituer un motif à un autre dans une fiction afin d'en infléchir la signification.

[17] N. Levallet et C. Rizet, « Emma Bovary, Flaubert et nous – un suicide entre mélancolie et hystérie », dans Pyschologie clinique et projective, no16, 2010, p. 252.

[18] D’Atala (1801) à Anna Karénine (1877), la liste d’héroïnes de la littérature européenne du XIXe siècle qui se suicident serait trop longue à établir. 

[19] Sur ce point, voir le site Flaubert de l'université de Rouen qui en propose une recension exhaustive dans sa section « dérivés ». Voir également l'article de Lionel Acher disponible sur ce même site.

[20] O. Pannetier, « Un drame de la vie provinciale », dans Les Incarnations de Madame Bovary, (éd.) Roger Dacosta, Paris, le Laboratoire de l’Hépatrol, 1933.

[21] P. Doumenc, Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary, Arles, op. cit., p. 7. Cette citation est introuvable dans la correspondance Flaubert-Sand. Nous remercions Yvan Leclerc de nous avoir confirmé l'hypothèse qu'il s'agit d'une licence poétique de Doumenc.

[22] Pour plus de détails, nous nous permettons de renvoyer au chapitre cité en bibliographie que nous avons consacré à ce roman.

[23] Même si Pierre Bayard revendique explicitement l'ambiguïté d'une telle critique qui situe la voix de son auteur/narrateur à l'intersection indécidable entre un discours critique et fictionnel.

[24] P. Bayard, La Vérité sur “Ils étaient dix”, Paris, Minuit, 2020. [2019].

[25] P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ?op. cit., p. 16-17.

[26] F. Gaillard, « Qui a tué Madame Bovary ? », dans Anne Herschberg-Pierrot (dir.), Flaubert, éthique et esthétique, Saint-Denis, PU de Vincennes, 2012, p. 67‑80.

[27] C'est ainsi que Sylvie Triaire résume le parti pris de Françoise Gaillard dans l'article où elle rouvre l'enquête : S. Triaire, « Si Binet m’était conté. Enquête sur un personnage au‑dessous de tout soupçon. », Fabula / Les colloques, Premier symposium de critique policière. Autour de Pierre Bayard, en ligne, 2017 : http://www.fabula.org/colloques/document4842.php, page consultée le 3 juin 2020.

[28] Idem.

[29] Idem.

[30] Idem.

[31] Idem. Il s'agit d'un résumé partiel et partial de la contre-enquête de Sylvie Triaire dont l'un des mérites est aussi de répondre à l'essai de Jacques Rancière et nous renvoyons donc le lecteur à ce très stimulant article pour plus de détails.

[32] Puisqu'elle montre avec justesse à la suite d'autres critiques que ce personnage peut se lire comme une mise en abyme de l'écrivain.

[33] Elle ne le mentionne qu'une fois, au sujet de la réécriture de G. de La Fouchardière. 

[34] C'est exactement le même nombre que « Binet » : pure coïncidence ?

[35] G. Flaubert, Madame Bovaryop. cit., p. 418.

[36] Ibid., p. 151.

[37] Ibid., p. 163.

[38] Ibid., p. 285.

[39] Ibid., p. 341.

[40] Ibid., p. 162. 

[41] Ibid., p. 285. Je souligne.

[42] On pense notamment à l'affaire Lafarge que connaissait bien Flaubert comme l'atteste l'entrée « Arsenic » du Dictionnaire des idées reçues.

[43] Flaubert, Madame Bovaryop. cit. , p. 163.

[44] Ibidem.

[45] Ibidem.

[46] Ibid., p. 163-164.

[47] Ibid., p. 164.

[48] Ibid., p. 195.

[49] Ibid., p. 197.

[50] Ibid., p. 254.

[51] Ibid., p. 342.

[52] Ibid., p. 341.

[53] A. Feuillet, Flânerie littéraire à travers quelques œuvres récentes, Paris, Dentu, 1859, p. 57. 

[54] Pour la Correspondance, voir la lettre citée en épigraphe de cet article, pour le Dictionnaire des idées reçues, voir l'entrée « Figaro (Le mariage de) ».

[55] Une seule lettre de la Correspondance mentionne Chérubin (l’ange et non le personnage de Beaumarchais) de façon parodique puisque Flaubert la signe : « votre gros Chérubin » (Lettre à Léonie Brainne, Paris, 1878).

[56] G. Flaubert, Madame Bovaryop. cit., p. 256.

[57] Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte I scène X, Paris : GF, 1999 [1785], p. 109.

[58] Ibid., p. 100.

[59] Ibid., p. 84.

[60] Ibidem.

[61] Anne Grand d’Esnon : https://womenandfictionblog.wordpress.com/2016/03/31/un-viol-disparait-zone-grise-et-mere-coupable/ Nous renvoyons à ce billet qui soutient longuement l’hypothèse du viol de la comtesse par Chérubin et sur lequel nous nous appuyons dans cet article.

[62] Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte I scène 8, Paris, GF, 1999 [1785], p. 100. 

[63] Beaumarchais, La Mère coupable, Acte II sc 1.

[64] Trois critiques en particulier, ainsi que le rappelle le blog d’Anne Grand d’Esnon : Jean Goldzink, Stéphanie Genand et Pierre Frantz.

[65] Nombreuses sont en effet les scènes où Homais lui parle mal, le rabaisse et le traite comme un larbin.

[66] G. Flaubert, Madame Bovaryop. cit., p. 255-256.

[67] Le verbe « fourrager » signifie « chercher en mettant du bazar », « fouiller », « fouiner », mais il relève à l'origine du vocabulaire paysan et est lié au « fourrage », ce que Flaubert ne peut ignorer quand il place le terme dans la bouche de Félicité.

[68] L’enquêteur doit toutefois avouer sa relative mauvaise foi puisqu’il semblerait que cette attestation soit postérieure à la date de rédaction de Madame Bovary.

[69] G. Flaubert, Madame Bovaryop. cit., p. 285.

[70] Ibid., p. 388-389.

[71] Ibid., p. 320-321.

[72] On notera d'ailleurs que c'est le souvenir de cette même scène qui permet à Emma de savoir où se trouve l'arsenic.

[73] Les trois éléments qui caractérisent cette infraction pénale sont en effet bien réunis dans cette scène : « La personne en danger fait face à un péril grave et imminent, qui menace sa vie ou son intégrité, le témoin a conscience de ce danger, le témoin s'abstient d'intervenir pour empêcher qu'un crime ou qu'un délit soit commis contre l'intégrité physique de la victime, ou d'aider la victime, ou d'alerter les secours. » https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34551 consulté le 14 avril 2021. Voir également l’article 223-6 du code pénal. 

[74] G. Flaubert, Madame Bovaryop. cit., p. 415.

[75] Ibid., p. 418.

[76] A. Feuillet, Flânerie littéraire à travers quelques œuvres récentes, Paris : Dentu, 1859, p. 56-57.

[77] G. Flaubert, Lettre à Alfred Feuillet, 27 janvier 1859, Correspondance, Yvan Leclerc et Danielle Girard (dir.), en ligne : https://flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/correspondance/trans.php?corpus=correspondance&id=13993&mot=justin&action=M Les surlignages sont de Flaubert.

Par Bertrand Bourgeois

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